ART | CRITIQUE

Vivien Roubaud

PJérôme Gulon
@01 Juil 2015

Bricoleur de talent, Vivien Roubaud se livre à des expérimentations spectaculaires qui détournent des objets usuels (imprimante, lustres) de leur fonction initiale. Il crée ainsi des installations absurdes produisant un mouvement cyclique incessant, qui vont parfois jusqu’à s’autodétruire, ou ramènent paradoxalement le mécanique du côté du vivant.

Une drôle de petite machine, toute frêle et rampante, nous accueille sur le seuil de la galerie In Situ, tournant indéfiniment sur elle-même, et laissant dans son sillage des traces d’encre noire ou bleue foncée. L’étrange titre à rallonge qui la désigne, à savoir Hp deskjet, ordinateur, wifi, pièce de moulinet, ressort, 220 volts, nous renseigne alors sur les éléments qui la composent, et nous permet d’identifier l’objet de base que Vivien Roubaud a utilisé dans cette installation. Car cette machine rampante n’est effectivement rien d’autre qu’une imprimante que l’artiste aura déstructurée et «désossée» pour la libérer de sa finalité habituelle. L’objet usuel, pratique, change donc de statut, et se meut en une installation absurde (dans le sens où l’objet n’a plus d’utilité), produisant indéfiniment un mouvement cyclique.

Mais ce qu’il y a d’étonnant, c’est que cette installation purement mécanique et électrique (l’imprimante est reliée au plafond de la galerie par un câblage) a l’allure d’une petite bête qui boîte, comme si elle était blessée ou amputée, et tentait de survivre en avançant coûte que coûte. Paradoxalement, le mécanique nous renvoie donc vers l’organique, le programmé vers le spontané, et l’imprimante, qui est par définition un objet statique, se met ici en branle. Equipée de cartouches d’encre, elle trace en effet de grands cercles sur le sol de la galerie, alors que l’on perçoit dans les larges sillons qu’elle esquisse quelques caractères d’imprimerie.

Le reste de l’exposition se déroule dans la pénombre, où six installations spectaculaires, érigées sur le même principe, s’activent et s’éteignent tour à tour. Des lustres à pampilles ou à pendeloques, au style kitsch ou rococo, sont suspendus à des bras qui s’activent et tournoient vivement. On est donc impressionné de voir les bras se contorsionner sous l’effet de la force centrifuge. La vitesse de rotation des lustres va même jusqu’à donner un caractère violent ou brutal aux œuvres. Car on remarque rapidement qu’à force de tourbillonner, des pampilles et des pendeloques se détachent carrément des lustres et volent en éclat. Idem, on retrouve des ampoules éclatées, des bouts de verre, et l’on perçoit que certaines lumières ne fonctionnent plus.

Ainsi, le protocole instauré par Vivien Roubaud fonctionne comme un système dégénérescent, où les œuvres s’autodétruisent, si l’on ne vient pas de temps à autre les mettre à l’arrêt et canaliser leur puissance. Il semble qu’elles s’emballent, comme si elles devenaient autonomes et échappaient à tout contrôle, à toute mesure, et que le mouvement rotatif qu’elles suivent se nourrissait de lui-même et gagnait peu à peu en intensité. Mais si les lustres se déglinguent ou se fracassent, emportés dans leur propre mouvement, ils brillent de mille feux comme des gyrophares fous, et produisent également des phénomènes sonores.

Car, en réalité, chaque lustre est emprisonné dans une sphère transparente en pvc. D’une part, cette coque nous protège des éclats de verre qui s’échappent des luminaires, et qui risqueraient alors de nous heurter. D’autre part, certains lustres, en tournoyant, viennent frotter la paroi de pvc des sphères et les fermetures éclair qui y sont intégrées. Par là, ce frottement produit un son continu, auquel s’ajoute le cliquetis des pampilles et des pendeloques qui s’entrechoquent. Ainsi, selon que les pièces s’activent ou s’éteignent, reliées à un impressionnant dispositif de câblages électriques disséminés à travers la galerie, on passe de la pénombre à la lumière, d’une position statique à un mouvement cyclique, du silence au vacarme, de la tranquillité à l’agitation.

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