ART | CRITIQUE

Visions Nocturnes

PMaxime Thieffine
@14 Avr 2008

La première exposition collective de la saison à La Galerie explore le vaste univers de la nuit, à travers des «visions» d’artistes très différentes et parfois surprenantes, dans lesquelles le noir et l’obscurité sont moins présents que l’irrationnel et l’altération des sens.

Les toiles d’Anne-Laure Sacristie — Absorption huile sur médium, L’île aux crabes, et Absorption huile sur médium, Le rivage des morts —  illustrent parfaitement le titre de l’exposition. Elles nous emmènent dans le décor d’un lac plongé dans le noir. Les contours de la végétation n’apparaissent que par contraste. La lumière semble absorbée par la densité de la nuit. La limite de l’eau et du ciel n’est marquée que par les reflets. Ces tableaux de paysage aux touches baroques et romantiques et à l’atmosphère confinée semblent être l’œuvre d’un peintre nyctalope, doté de cette faculté de voir la nuit.

Avec l’économie de moyens qui caractérise ses œuvres, Sophie Bueno-Boutellier propose Mirror, Mirror, un losange de bois couvert d’encre noire mais sans miroir, contrairement à ce qu’énonce le titre. L’œuvre évoque plutôt une porte donnant vers un autre monde (nocturne ?), dont la clef serait notre imagination.

Une autre œuvre de Sophie Bueno-Boutellier, Perfect Mood, composée d’un rond gris percé de deux trous sur un carré noir en forme de lune sur un ciel noir, fait écho à Darkness, de Spencer Finch : un rond de pastel noir sur un carré de papier grisâtre évoquant non pas la lune mais une éclipse de soleil. Darkness paraît comme le négatif de Perfect Mood.

La troisième œuvre Sophie de Bueno-Boutellier, l’installation Black Widow réalisée en duo avec Niels Trannois, s’inspire d’expériences scientifiques sur le comportement d’araignées placées sous l’emprise de stupéfiants. Composée de différents objets épars, plus ou moins identifiables, l’installation semble aléatoire, comme le produit de l’esprit halluciné d’une araignée…

Le noir par la soustraction de la lumière : Dominique Blais détourne la fonction du lustre en remplaçant les ampoules de Sans titre (Lustre) par des hauts-parleurs qui diffusent l’enregistrement des sons de La Galerie vide : l’empreinte sonore et aveugle du lieu. Il s’agit de tendre l’oreille pour se rendre compte que le silence absolu n’existe pas, et qu’en l’absence d’occupants La Galerie semble hantée d’une présence mystique.

Soustraction de la lumière également chez Jason Dodge. L’artiste américain a enlevé toutes les sources de lumière de la maison située au 74 rue Wolkowyja à Polanczyk en Pologne. Bougies, néons, briquets et autres ampoules sont posées en désordre sur le sol. L’obscurité se présente à nous in absentia, dans l’image de cette maison privée de lumière qui se forme dans notre esprit.
Chez Jason Dodge, un élément primordial de l’œuvre est paradoxalement souvent invisible. Parce qu’il est ailleurs, comme c’est le cas de la maison de Polanczyk, ou parce qu’il est caché, comme le sont les rubis de Rubies Inside of an Owl, placés à l’intérieur d’une chouette lors de son embaumement.

Francesco Gennari suit la voie de Jason Dodge dans une esthétique plus minimale. Son Mausoleo per un verne dissimule le ver en question, plongé dans les ténèbres d’un mausolée de forme basique. De même, dans Ascensione, des coquilles d’escargots sont cachées entre des plaques uniformes de marbre noir. Au contraire, sa dernière sculpture — une sorte de soucoupe volante noire — exhibe un jaune d’œuf à son sommet. Entièrement noire jusqu’à son socle, la pièce est éclairée par cette tache jaune qui devient lumineuse par contraste.

Conçue comme une somme de «visions» hétérogènes et inattendues du topos de la nuit, l’exposition est l’image de la dernière pièce de Spencer Finch, qui suit la formation progressive en plusieurs étapes d’une ombre. Cinq verres alignés sont remplis d’eau auquel Spencer Finch a ajouté un dosage de plus en plus fort d’encre. L’ombre se forme sous nos yeux, la nuit tombe dans le dernier verre. Spencer Finch fait même plus que donner une «vision» de la nuit : il crée la nuit.

Sophie Bueno-Boutellier
— Mirror, Mirror, 2007. Bois, encre noire. 210 x 20 x 20 cm
— Absorption huile sur médium, L’île aux crabes, 2006. Huile sur bois. 130 x 195 cm
— Absorption huile sur médium, Le rivage des morts, 2006. Huile sur bois. 75 x 100 cm

Dominique Blais
— Sans titre (Lustre), 2007-2008. Dispositif sonore (fer forgé, bande son, enceinte). Dimensions variables.

Sophie Bueno-Boutellier et Niels Trannois
— Black Window, 2007. Techniques mixtes. Dimensions variables
— Perfect Mood, 2008. Drap de laine. 83 x 75 cm

Jason Dodge
— Rubies Inside of an Owl, 2007. Chouette empaillée, carton.
— Darkness Falls on wolkowyja 74, 38-615, Polanczyk, Poland, 2005. Ampoules, bougies, allumettes, briquets, néons. Dimensions variables.

Francesco Gennari
— Mausoleo per un verne, 2004. Bois de tulipier, sucre, ver. 60 x 49 x 49 cm
— La terra gira le spalle al sole, 2007. Marbre noir de Belgique, fer, œuf. 136 x 35 x 35 cm
— Ascensione, 2006. Verre peint, marbre noir de Belgique, bois laqué, coquilles d’escargots. 12 x 95 x 95 cm

Spencer Finch
— Darkness (Lascaux Interior, N View, Upper, sept 29, 2005), 2005. Pastel sec sur papier Stonehenge. 76 x 76 cm
— Untitled (Creating a Shadow), 2007. 5 verres à eau, eau, encre, papier blanc. Dimensions variables.

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