DANSE | INTERVIEW

Vincent Dupont

Vincent Dupont est un inventeur de présences singulières, d’images insolites. Chez lui, le son, la voix, les corps dialoguent ensemble et nourrissent un espace théâtral ouvert aux imaginaires. De février à avril, le Théâtre de la Cité internationale et la Ménagerie de Verre accueillent quatre de ses pièces. L’occasion de découvrir une oeuvre libre qui redessine le territoire scénique.

Vous avez commencé votre carrière en tant que comédien. Pourquoi cet abandon du théâtre pour la danse contemporaine ?
Vincent Dupont. J’ai découvert la danse contemporaine sur le tard, mais cela a complètement bouleversé ma façon de travailler. Je pense qu’il se passe aujourd’hui beaucoup de choses dans la danse. On y pousse la recherche, l’exploration du corps, du rapport au temps, au son, à la lumière… Selon moi, le théâtre est encore trop prisonnier du texte.

Pourtant vous continuez à travailler le texte dans vos spectacles. Hauts Cris (miniature), par exemple, s’inspire de l’œuvre d’Agrippa D’Aubigné, un auteur du XVIe siècle…
Vincent Dupont. J’utilise le texte, mais comme une matière parmi d’autres, au même titre que le son ou le mouvement. Dans Jachères improvisations, ma première pièce, le texte défile sur une bande audio, puis les danseurs s’en emparent et le disent à haute voix. Dans Hauts Cris (miniature), il est projeté sur un tronc d’arbre… Mais il ne s’agit pas de théâtre : le texte n’est pas prédominant. Il est le plus souvent filtré, déformé. Je fabrique aussi des langages imaginaires, qui n’ont pas de sens. En fait, je m’intéresse davantage à ce qui se passe avant la parole : la présence, le mouvement, la voix, le souffle…

Pour décrire votre travail, on parle souvent d’interaction : mouvement/son (Hauts Cris) et corps/lumière (Incantus)…

Vincent Dupont. Oui, je juxtapose ces matières dans le même espace, celui du plateau,et je cherche à les faire vibrer ensemble, comme des couleurs dichromatiques. Dans Hauts Cris, le danseur produit lui-même du son par l’intermédiaire de micros. Dans Incantus, l’interaction corps/lumière s’ajoute à l’interaction corps/son. Pendant 10 minutes, les interprètes gèrent en direct l’intensité lumineuse sur le plateau grâce à des capteurs.

Ces interactions se construisent en temps réel. Est-ce que les représentations sont différentes chaque soir ?
Vincent Dupont. La représentation, c’est du temps réel. Sur scène, l’interprète joue quelque chose de particulier. J’aime à croire en cette utopie là. Chez moi, il y a ce désir très fort d’instant unique. J’essaie de retrouver la sensation de la performance, comme dans Hauts Cris, où l’interprète agit directement sur le décor, le transforme. On l’entend respirer. On est dans un temps plus intime. En danse, je favorise au maximum l’improvisation. Je donne des directions aux interprètes mais je fixe le moins possible le mouvement, ce qui peut avoir des conséquences sur la longueur totale de la représentation. La durée de Jachères improvisations, par exemple, varie de 35 à 50 minutes !

Dans Hauts Cris(miniature), un homme est seul dans un espace trop petit pour lui. On a le sentiment d’une aliénation et d’une tentative de libération…

Vincent Dupont. Hauts Cris (miniature) vient d’une sensation de ras-le-bol général devant la masse d’informations que l’on doit assimiler chaque jour, face à cette violence quotidienne. La pièce est une façon de dire « stop ». Dans le cri, le corps et la voix se mettent en action ensemble pour hurler. C’est un acte d’engagement lié au souffle. Je voulais retracer le parcours physique de ce cri. J’ai donc cherché à créer un espace capable de contenir ces choses qui nous écrasent, cette violence, mais qui nous donne aussi envie de nous lever, de résister. J’ai choisi le cadre de la salle à manger, un lieu familial et convivial mais qui peut aussi abriter des drames. Je souhaitais que tout le monde puisse s’y projeter.

Dans Incantus, il est question d’une incantation, les corps sont au bord de la transe… Quel rituel se joue ici?

Vincent Dupont. Incantus part du postulat que les artistes sont en train de disparaître. Ce qui correspond selon moi à une certaine réalité. Un artiste, ce n’est pas forcément quelqu’un qui va faire une bonne pièce ou beaucoup d’entrées, c’est quelqu’un qui cherche, qui défriche, qui s’engage. Ce type d’artistes me semble de moins en moins représenté dans les théâtres. J’ai l’impression que la société ne peut que les rejeter à terme, car la recherche demande du temps, et reste très peu lucrative.
Incantus est une dernière incantation avant la fin des artistes. J’appelle trois interprètes sur le plateau, trois artistes rêvés, Olivia Granville, Manuel Vallade et Werner Hirsch, pour qu’ils viennent nous délivrer…

Dans vos pièces, la danse est plutôt lente…
Vincent Dupont. Je ne m’intéresse pas à la lenteur en tant que telle mais à la vitesse, aux différents types de vitesses, rapides ou lentes. En tant qu’interprète, j’éprouve un vrai plaisir à faire varier les vitesses dans le corps. Je travaille sur les différents temps du quotidien. Dans Hauts Cris, on est dans une vitesse plutôt lente. Cela crée des qualités de présences singulières, permet de porter un regard différent sur le corps. Ce type de vitesse conduit à un lâcher prise, une espèce de transe.

Quel est votre rapport au public ?
Vincent Dupont. Je travaille beaucoup à partir des manques que je ressens. En tant que spectateur, je suis en attente d’une projection scénique plus ouverte, moins narrative. C’est ce que j’essaie de mettre en place dans mes spectacles, en juxtaposant différentes matières – mouvement, son, lumière, voix etc. Je souhaite que le spectateur puisse recevoir à sa façon les choses, qu’il aille lui-même les chercher sur le plateau.

Vous utilisez beaucoup le mot « plateau », plutôt que scène, théâtre ou spectacle. C’est très concret.
Vincent Dupont. Oui, j’aime ne pas perdre de vue la matérialité propre au théâtre : les interprètes et le public partagent le même espace, les premiers jouent sur scène, les autres les regardent, assis dans les gradins. Dans Incantus, je m’intéresse à un lieu particulier du plateau, le proscenium ou l’avant-scène, la partie entre la scène et la salle. A cet endroit,la projection du plateau est différente. Cela crée un filtre.

Encore un terme que vous employez souvent : le filtre…

Vincent Dupont. Oui, dans mon travail je filtre le regard (comme dans Jachères improvisations où le spectateur est à 15 m des danseurs, ou dans Hauts Cris (miniature) où le décor est en perspectives accentuées) je filtre la voix… Filtrer, c’est laisser passer des choses en en retenant d’autres. Cela transforme. Reliés les uns aux autres, ces filtres créent des espaces d’intersection, de nouveaux rapports entre les choses, des présences singulières.

Votre passage au Théâtre de la Cité internationale s’achève avec la présentation de Souffles. La pièce est également à l’affiche du festival Etrange Cargo, qui a lieu en avril à la Ménagerie de Verre. De quoi parle t-elle ?
Vincent Dupont. Souffles est un questionnement sur la mort et ce qu’il y a après. A l’origine de la pièce, il y a une installation d’Yves Godin, constituée uniquement de bougies qui s’éteignent les unes après les autres. Ces bougies diffusent une lumière particulière. Cela a été le point de départ de Souffles.

La pièce est construite en deux parties : Mouvement 1, le temps de l’inspiration, Mouvement 2, celui de l’expiration. N’est-ce pas un paradoxe de parler de la mort en évoquant le souffle?
Vincent Dupont. On parle du souffle de la vie mais aussi du dernier souffle. Il y a l’idée du flux et du reflux. La respiration est très importante dans mon travail. Quand on est danseur, la maîtrise du souffle est nécessaire pour se mouvoir, être bien, avoir conscience de l’espace. On n’arrête pas de respirer, jamais. On est constamment dans un rapport à l’air, dans cet échange. Nos poumons filtrent cet air pour y puiser l’énergie. Le plateau, c’est cet espace commun où l’on respire ensemble, public et interprètes.

Dans Souffles, il y a une image assez forte où l’on voit un corps léviter dans l’espace…
Vincent Dupont. C’est une façon d’évoquer la mort, en brisant cette subordination des corps à la gravité. L’idée est de donner une sensation d’apesanteur, dans un rapport au sol insolite. Je construis ainsi des images liées au thème de la mort.

En seconde partie de soirée, après Souffles, vous présentez votre dernière création Bine. Si vous deviez faire un lien entre ces deux pièces et celles qui sont programmées au Théâtre de la Cité internationale, Hauts Cris et Incantus, quel serait-il ?
Vincent Dupont. Le plateau, tout simplement. Il est l’un des seuls espaces auxquels je crois encore.Il s’y passe des choses comme nulle part ailleurs. Le plateau sert à questionner des vérités fondamentales. La vie, la mort s’y éprouvent, comme dans le théâtre antique. On a tous besoin d’une confrontation avec ces questions essentielles. En danse, on passe par le corps et c’est primordial. Aujourd’hui les corps sont de plus en plus noués, coincés. Il y a des mouvements que l’on ne fait jamais, et quand on les fait il se passe quelque chose. La danse permet de mettre le corps en jeu, c’est une pensée qui bouge, une pensée que tout le monde peut appréhender car le corps est familier à tous.

Représentations
― Théâtre de la Cité internationale
3-5 février, 19h30, Hauts Cris (miniature)
10-11 février, 20h, Incantus
14 février, 19h30, Souffles
― Ménagerie de verre
5-9 avril, 20h30, Souffles suivi de Bine

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