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Uri Tzaig

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

En créant des situations de jeu inédites et déstabilisantes — Play (1996) était une partie de football à deux ballons —, Uri Tzaig perturbe les conventions textuelles et iconiques. De sorte qu’il travaille en profondeur sur les identités, le politique, l’image.

La galerie Art : Concept a été transformée pour l’événement en salle obscure isolée de la rue: un espace à la fois onirique et secret qui réunit des formes et des signes plastiques colorés. La narration (Allah Akbar) croise l’abstraction (Crystal Coma, par exemple) pour développer une ambiance particulière. Le son participe également de l’installation (Allah Akbar ou « Pour l’amour de Dieu » est une vidéo avec une musique composée par Amin Lloyd). Toutes les pièces présentées (peinture, photographie, vidéo) semblent se répondre en liant l’intime et le collectif.

Les images fixes ou projetées, les sensations visuelles et sonores renvoient le spectateur à un monde intérieur autant qu’à l’histoire et à l’actualité du Proche-Orient. Tzaig interroge pour ainsi dire toujours la réalité par des décentrements oniriques dans la mise en scène des images et des formes géométriques. Il peut ainsi procéder à la construction d’autres rapports au monde, à la perception que chacun peut en avoir, en interrogeant l’histoire du XXe siècle et l’engagement politique aujourd’hui : le terrible conflit israélo-arabe est manifeste dans l’œuvre de Tzaig. Élargir les perspectives, garder la mémoire, redéfinir fiction et vérité, forme, temps et espace : la vidéo et l’installation constituent des moyens pertinents pour solliciter le spectateur et susciter sa mobilité. L’errance est au cœur des dispositifs lumineux et colorés de Tzaig qui met en évidence le danger de l’objectif unique. Déjà en 1995, pendant la Biennale de Venise, dans le pavillon israélien, Uri Tzaig défaisait les positions ordinaires vis-à-vis de l’étrange et de l’étranger ; et même si une certaine forme d’utopie habite son œuvre, il nous fait réfléchir sur la difficulté à penser autrement le monde et ses enjeux.
Alors, sa pratique de l’art lui permet d’ouvrir la voie à d’autres expériences : celle qui consiste à se mettre en question en ne dissociant jamais l’action individuelle de l’action collective. Tzaig, après avoir utilisé la sculpture (Village, 1994) prend ici délibérément l’image fixe et l’image en mouvement comme supports de sa relation au monde. Son désir d’interroger l’exil, le souvenir, la nature et les relations humaines, trouve dans la vidéo, le film, une alliance précise entre la fugacité et la pérennité, la liberté de combiner les traces du réel.
Ces dernières années, il n’a cessé d’accentuer ce décentrement auquel il travaille avec une très grande attention pour les technologies actuelles : comme il est périlleux de ne favoriser qu’un seul point de vue, le cercle, la sphère représentent des outils parfaits, en dehors de toute symbolique universelle, pour évider les certitudes, pour ne jamais rien arrêter, en régulant un mouvement infini. Semblable à l’impression que l’on peut ressentir dans le désert (solitude, intemporalité, dénuement, absence de repère ou repères mouvants), les œuvres polysémiques de Tzaig rappellent toujours que le chaos est à la fois l’origine et le désordre (Crystal, 2000).

Allah Akbar célèbre sous une forme poétique la création, la nature, les éléments primordiaux, les différents états de la matière, la beauté du paysage et des corps, des visages. Les images proviennent de la campagne israélienne, près du lieu de vie de l’artiste. La rondeur sublime et sensuelle des formes (oranges, soleil, lune…) participe d’une sorte de rituel universel qui implique le spectateur. Comme une incitation à vivre plus intensément, toujours plus. Le cercle qui vibre au centre de l’image trouble la fixité du cadrage et ouvre une profondeur perpétuelle.

Autres rondeurs que celles des deux coupes jumelles tenues par les deux jumeaux aux regards interrogateurs. Là aussi, la couleur, le flou et le net créent une enveloppe onirique, étrange. Les Twins Foutains, performance du 27 septembre 2000 à Reims, sont à l’origine de la photographie présentée ici comme une trace, une fenêtre sur un événement dont un moment est restitué.
Crystal Coma, accent bleu peint, est bien un signe, un logo en goutte d’eau qui répond à la circularité des images muettes du désert (la Mer Morte) projetées au sol de Crystal. Cette vidéo reprend le principe de Temp, sorte de « compression » documentaire, de voyage à la manière de Fischli et Weiss. Crystal est construite comme une vidéo « sphérique », composée des séquences d’images, où le paysage en rotation (à 360°) devient obsessionnel, comme un disque, inscrit dans une grille temporelle tridimensionnelle, non narrative. La Mer Morte est très présente dans les derniers travaux de Tzaig, elle représente une ligne de sel, une forme, un mythe.

Black and White (B/W) complète en 1999 les couleurs savoureuses de Infinite. C’est une pièce construite pendant un voyage dans les Alpes et là encore le paysage est déterminant : la volupté neigeuse (rompue par des apparitions d’arbres) ressemble à celle du sable du désert ; notre degré de perception nous guide dans notre conscience du monde. Parfois on ne sait plus où regarder…

Dans cet ensemble fascinant, très élaboré et très libre, Uri Tzaig emmène le spectateur vers une sorte de méditation, une rêverie qui n’oublie pas la cruauté de l’histoire mais veut la dépasser. Dans sa grande exposition à l’University Art Museum de Berkeley en 1996, l’artiste avait présenté une installation intitulée Homeless. Etre nomade c’est peut-être la destination de toute image actuelle, au péril des territoires consacrés.

Uri Tzaig :
Vidéos
— Crystal, 2001. Cd-rom couleur, muet. 10 minutes.
— Allah Akbar, 2001. DVD, couleur, son. 7 minutes 30.
— Black and White, 1999-2002. Installation vidéo, couleur, muet. 30 mn. Table en bois. 60 x 120 x 80 cm. Plexiglas. Moteur. Projecteur.

Photographie
— Twins Fountain, 2002. Photo couleur, feuille d’argent.

Peinture
— Crystal Coma, 1999. Peinture sur aluminium.

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