ÉDITOS

Une école sans art ?…

PAndré Rouillé

La place de l’art à l’école est un puissant indicateur de sa place dans l’ensemble de la société. Et, en cette matière aussi, la situation française n’est pas brillante. C’est du moins ce qui transparaît du rapport d’information présenté à l’Assemblée nationale par Muriel Marland-Militello (UMP) sur «La politique des pouvoirs publics dans le domaine de l’éducation et de la formation artistiques».
On sait que l’enseignement artistique se compose d’un volet obligatoire à l’école élémentaire et au collège

, et d’un volet facultatif sous la forme d’ateliers et de classes à PAC (projets artistiques et culturels) — lesquels ateliers et projets sont malheureusement très dépendants de la bonne volonté et du dynamisme des professeurs et des collectivités locales.

Le rapport rappelle utilement cette évidence, ensevelie sous les renoncements ordinaires, que l’éducation artistique possède ce pouvoir unique de stimuler les sens et l’imagination et de favoriser la liberté d’expression.
Mais il dresse surtout le constat objectif d’une faillite : alors qu’en 1988 l’enseignement artistique a été, sous le gouvernement de Jacques Chirac, élevé au rang de matière obligatoire à l’école et au collège, les ministres de l’Éducation et de la Culture ont récemment cru devoir réaffirmer que l’éducation artistique est une composante essentielle de l’éducation. Cela après avoir abandonné les classes à projet artistique et culturel (PAC) élaborées par Jack Lang et Catherine Tasca, leurs prédécesseurs socialistes.
C’est toute une mécanique de l’impuissance institutionnelle qui est décrite de façon nécessairement désabusée : la place infinitésimale de l’éducation artistique à l’école, les discours politiques et les annonces non suivis d’effet, le manque de continuité de l’action publique dû à cette triste manie des ministres de se singulariser en remettant (presque) systématiquement en cause l’action de leurs prédécesseurs.

Faute de moyens et de pérennité des actions, les résultats sont négligeables : seulement 2,47 % des élèves de premier et second degrés sont passés par des classes à PAC ; les ateliers artistiques n’ont concerné que 0,24 % des élèves du primaire, et 1,16 % des collégiens et des lycéens, etc.

Mais cette défaillance est d’autant plus sournoise qu’elle est indolore et acceptée par les parents d’élèves qui, pour la plupart, ne s’intéressent guère à l’éducation artistique. Une semblable indifférence se retrouve chez les enseignants des disciplines traditionnelles dont la formation ne laisse que peu de place à l’art — moins de la moitié d’entre eux ont choisi une option artistique au cours de leur cursus.

Le rapport propose donc d’intégrer la dimension artistique aux programmes d’enseignement de chacune des matières fondamentales et de rendre obligatoire la formation artistique en deuxième année d’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres). Le but est d’enclencher un processus d’imprégnation-diffusion de la culture artistique dans tous les secteurs de l’institution scolaire.
Une telle formation-sensibilisation devra aussi s’adresser aux chefs d’établissements qui seront contraints d’intégrer une dimension artistique et culturelle dans tous les projets d’établissements.

Enfin, autre recommandation en forme de nouveau constat d’échec de la politique de l’Éducation en matière d’art : améliorer la qualité, maintenir et développer les enseignements artistiques obligatoires.

Plusieurs points se dégagent : 1° transformer les établissements scolaires en espaces d’art et de culture ouverts en dehors du temps scolaire; 2° sensibiliser les enseignants de toutes les matières à la dimension artistique de leur enseignement; 3° soutenir les projets artistiques des écoles par une association avec les structures culturelles de proximité, et par la mise en œuvre d’un partenariat efficace entre l’État et les collectivités territoriales.
Dommage qu’internet n’ait pas été envisagé, en dépit de ses potentialités éducatives et de ses faveurs auprès des jeunes.

Ces propositions de bon sens, apparemment frappées du sceau de l’évidence, rencontrent en réalité une série d’obstacles : au-delà de l’indigence des budgets ministériels, l’art souffre à l’école d’une sorte de dévaluation de la sensibilité et de l’imagination au profit des valeurs de la raison cartésienne, de l’efficacité pratique immédiate, de la performance objective, de la rentabilité scolaire à court terme.

En ne s’opposant que mollement à cette méconnaissance-indifférence à l’art, l’école prépare des hommes et des citoyens pour lesquels les valeurs canoniques de l’art et de la culture sont relayées par d’autres valeurs, d’autres modes d’expression, d’autres imaginaires.
Un autre univers de pensées et de sensations.

André Rouillé.

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Compte rendu n° 49. Mercredi 29 juin 2005 : «Examen du rapport d’information sur la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l’éducation et de la formation artistiques (Mme Muriel Marland-Militello, rapporteure)»

_____________________________
Gadar Eide Einarsonn, Props (and the earth would flame with a holocaust of ecstasy and freedom), 2005. Coton teinté noir, rivets, coussins. 250 x 150 cm. © Gardar Eide Einarsson / galerie Loevenbruck, Paris. Photo Fabrice Gousset.

AUTRES EVENEMENTS ÉDITOS