ÉDITOS

Un art à vivre

PAndré Rouillé

A l’époque des foires internationales et de l’art-business, on risque parfois d’oublier que l’art devrait d’abord être un art à vivre, et de plus en plus à vivre dans les villes. Si « l’art est tout ce qui rend la vie plus importante que l’art » (Robert Filliou), il devrait jouer un rôle croissant, qui ne serait pas platement décoratif, dans les villes : les espaces publics, les rues, les places et les monuments.
A cet égard, la Nuit Blanche est une initiative éminemment positive qui rencontre un immense succès, qui draine un large public curieux, souvent fervent et ravi.

Mais l’audience même de la Nuit Blanche, bien au-delà des cercles des habitués de l’art contemporain, en souligne simultanément les limites. Cette rencontre exceptionnelle d’un large public avec des œuvres contemporaines, cette expérience offerte d’une métamorphose de la ville par l’art, souffre d’être trop ponctuelle, et d’être mise en œuvre à l’écart de la population.

La Nuit Blanche est une belle vitrine, c’est-à-dire un dispositif d’exposition, d’émerveillement et de consommation visuelle. Mais, trop brève pour permettre les rencontres et les échanges, et pour impliquer la vie, elle risque d’en rester au stade du divertissement. Durant la Nuit Blanche, Paris brille de tous les feux de l’art, mais tout s’évanouit au petit jour, pour un an. C’est un flash, il faudrait une lumière durable.

Une action artistique continue, populaire et exigeante, est à inventer qui ne réduirait pas l’art à un simple divertissement, mais qui l’aborderait à sa juste valeur de moyen spécifique, c’est-à-dire irremplaçable, d’appréhender le monde et les questions vives d’aujourd’hui. La création n’a rien de démocratique, mais l’expérience et la découverte des œuvres peuvent être encouragées par des politiques culturelles démocratiques.

L’enjeu est de solliciter, dans la durée et avec toutes les précautions requises, la population à côtoyer l’art contemporain, à prendre part à des actions artistiques, à s’imprégner des œuvres et de leurs problématiques. Dans l’espoir que les valeurs de l’art — la sensation, l’imagination, la liberté sans rivage, un certain mode du faire, etc. — puissent s’offrir en alternatives aux valeurs rigides et strictement quantitatives de l’économie et de la consommation autant qu’aux mornes conditions de la vie quotidienne.

Réenchanter la vie, donc. Mais aussi réenchanter la ville, faire qu’elle devienne un espace et un matériau de création et d’expression.
Inventer des façons de faire vivre, revivre, ou redécouvrir des monuments ou des lieux délaissés ou méconnus. Faire dériver de leur identité certains des grands monuments de la capitale. Les métamorphoser, leur donner un nouveau visage, leur offrir une nouvelle vie ou un nouveau rôle dans la ville pendant quelques jours ou semaines, par l’action de l’art et des artistes, en collaboration avec la population.
Nuit Blanche pourrait être le moyen d’impliquer ainsi, durant toute l’année, la population dans la mise en œuvre d’un vaste événement artistique populaire à l’échelle de la capitale. A l’expérience-consommation ponctuelle de l’art succéderait une année de vie avec l’art pour préparer l’événement exceptionnel d’une seule nuit (blanche). Ce qui, par parenthèse, rétablirait très pédagogiquement les proportions propres à la création, au travail des artistes ou des écrivains : une année de préparation pour un événement d’une nuit.

Quelques unes des grandes questions actuelles — les emplois culturels, la politique de la ville, la vie urbaine, la prévention de la délinquance, ainsi que les aspirations nombreuses à sortir des valeurs éculées de la société de consommation — pourraient trouver dans l’art un relais, un support, une direction.

Faire de l’art une règle de vie — et de ville. Mais dans l’esprit qui inspirait le TNP (Théâtre national populaire) de Jean Vilar, celui d’un «élitisme pour tous».

André Rouillé.

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Natacha Nisic, Hand-Maid : Une publicité, 2004. Photo couleur, Diasec. 110 x 110 cm. Jean-Batiste Maitre, courtesy galerie Xippas.

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