ART | CRITIQUE

Transimages européennes

Une interrogation sur les images d’aujourd’hui : comment elles se transforment, agissent sur nos manières d’aborder le monde, envahissent nos intimités, et façonnent nos corps.

Elles nous traversent, nous transforment, nous façonnent et sont omniprésentes dans notre quotidien : les images.
Sans grand déballage technologique, voire même avec une certaine simplicité de moyens, l’exposition « Transimages » interroge les images en mutation, leur impact sur nos manières d’aborder le monde, leur façon d’envahir nos intimités, leur pouvoir de façonner nos corps.

« À l’époque de la bio-éthique et de la bio-politique, la vie, ma vie, ma propre vie semble constituer un tel enjeu pour la société qu’au lieu de la défendre comme une forteresse assiégée, j’entends la livrer à tous les interessés », écrit Édouard Boyer, dont l’œuvre Missing ouvre l’exposition.
Imitant les techniques de morphing utilisées aujourd’hui pour la recherche des enfants disparus, il affiche au mur trois images de lui-même — enfant, adolescent et jeune homme. Plus loin, ces mêmes affiches empilées sur des palettes sont « livrées aux intéressés ». La mise en scène amenuise le caractère dramatique de l’œuvre pour la faire basculer du côté des memento-mori.
En tous cas, l’enfance de l’artiste a bien disparu chez l’artiste adulte qui attire l’attention vers d’autres pertes possibles.

L’absence et la perte sont également fortes dans la vidéo d’Éric Maillet Geometrical abstraction. Au Japon, lors de la Coupe du Monde de Football 2002, il a filmé des rassemblement de spectateurs dans des lieux publics : des centaines de visages, happés par les écrans lors de la transmission des matchs. On a l’impression de visiter en silence le château de la Belle au Bois dormant. Pour accentuer l’état d’absence, une mosaïque colorée (de celles utilisées à la télévision pour masquer l’identité de gens) vient occulter tous les messages publicitaires qui apparaissent dans le champ de la caméra.

Dans cette exposition où domine l’immatérialité, Orlan surprend. Bien connue pour ses photographies de « self hybridation », elle présente ici un moulage en résine que l’éclairage cru rend encore plus « charnel » (terme qu’Orlan préfère à celui de « corporel »).
Assemblage lisse de traits et d’attributs africains et européens, la figure, posée sur un socle, est droite et rigide, jambes et bras écartés, yeux écarquillés, telle une immense poupée échappée d’un rituel vaudou, ou un écho moderne de Frankenstein. Métaphore du corps humain traversé par la prolifération des images (culturelles comme ici, mais souvent marchandes) : support d’expérimentations, de bricolages et de transformations les plus aléatoires.

Dans la pénombre, un triptyque vidéo de Brigitte Zieger juxtapose trois actions. À gauche, une jeune patineuse déambule avec difficulté dans un terrain vague. À droite, une autre patineuse, en grande tenue de compétition, fait des pirouettes sur la glace. Au centre, une vue plongeante sur une maquette de favella tourne sur elle-même, comme la patineuse. Oppositions et passages (trop didactiques) entre pauvreté et de faste, gloire et déchéance…

Karin Hansson et Asa Andersson utilisent les méthodes et le langage de la communication publicitaire. Sur le mur central de l’exposition, une projection de transparents par rétroprojecteur vient compléter des schémas griffonnés au stylo ou au crayon pour vanter les mérites de Ted, un produit ou un service difficilement identifiable.
Ted est présenté comme un « prototype pour modéliser une solution de communication totale, une marque déposée indépendante, une image basée sur une analyse substantielle des tendances et des valeurs actuellement répandues dans la société ». L’une de ces désormais nombreuses productions virtuelle de discours.
Pour achever cette mise en abîme de la stratégie du marketing, un site internet, www.art.a.se/ted, présente avec le plus grand sérieux l’équipe, les partenaires et le projet Ted (en fait : Temporary Existence Development).

Le film d’animation en 3D de Pierre-Jean Giloux associe avec poésie et finesse des images vidéos, des photographies et des images de synthèse. Qualité rare : l’esthétique n’est pas étouffée par la virtuosité technique.
Enfin, Timothée Rolin projette en diaporama des instantanés de son quotidien à une cadence proche de l’image subliminale. Archivées dans une base de données, les images composent un journal intime. Elles sont offertes en partage au public sans impudeur.

Édouard Boyer
— Missing, 2002. Sérigraphie. 52 x 78 cm et off-set 40 x 60 cm.

Pierre-Jean Giloux (Nun limited)
— Lebe Wohl, 2002. Vidéo, photos, images 3D. 11’06. Avec Raphaël Kuntz et Lionel Marchetti.

Karin Hanson et Asa Andersson
— Ted. Solution de communication totale. 1999. Multimédia.

Éric Maillet
— Geometrical Abstraction, 2002. Vidéo. 21’40.

Orlan
— Self hybridation, Sculpture Nuna Burkina Fasso avec scarifications et corps de femme Euro-Stéphanoise avec bosses facio-temporelles, 2000. Moulage en résine. 180 x 100 cm, sur socle 150 x 300 cm.

Timothée Rolin
— Adam Project, 2002. Vidéo-diaporama 8 images/s. 50’.
— La Coiffeuse, 2002. 195 images. 10 x 15 cm.

Brigitte Zieger
— Orna-mental, 2002. Triptique vidéo. 4’40. Avec Delphine Lehericey.

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