ART

Tourne-toi

PAugustin Besnier
@22 Fév 2012

«Tourne-toi» invite à expérimenter différents types de trajectoires, dans un univers étrangement inquiétant. Par un choix d’œuvres de qualité et une habile scénographie, l’exposition collective nous laisse le rare sentiment d’être passés de l’autre côté du miroir.

Conçue comme un parcours, l’exposition collective «Tourne-toi» invite à expérimenter différents types de trajectoires, où le mouvement se fait tantôt révolution, tantôt métamorphose, tantôt narration. Plongées dans le noir, les quelques œuvres configurent un univers étrangement inquiétant, dont la fixité apparente recèle une sourde effervescence.

L’œuvre de Maïder Fortuné Once, Forever (2008) y est pour quelque chose. À deux reprises dans l’exposition, le visage androgyne de l’acteur Hurd Hatfield nous fixe du regard, depuis la surface d’un écran plat. Image «arrêtée» d’un film en noir et blanc (The Picture of Dorian Gray d’Albert Lewin), ce photogramme devenu vidéogramme puise dans le balayage et les frémissements imperceptibles du support vidéo une vivante intensité que le cinéma lui aurait de fait interdite (tout arrêt sur image signant l’arrêt de mort de la pellicule dans le projecteur).
Éditée en cinq versions, le choix d’en présenter deux, à distance l’une de l’autre, est des plus judicieux: d’abord amical, le même regard nous paraît soudain plus inquiétant, en resurgissant avec persistance quelques mètres plus loin. Admirable «effet Koulechov» que ce redoublement d’œuvre, qui rappelle qu’un visiteur est aussi spectateur.

Ce que cet effet scénographique expérimente à distance, l’œuvre Or, Autrement d’Angela Detanico & Rafael Lain (2006) le réalise en une double projection. À gauche, l’image d’un bouquet peint — nature morte à la Abraham Mignon —, à droite, un écran noir. Peu à peu, des touches de couleurs se fanent pour réapparaître, anarchiquement, sur le «tableau noir». La transition est lente, précise, silencieuse. De ce portrait floral de Dorian Gray, c’est l’abstraction qui surgit, recyclant en un feu d’artifice la peinture de l’artifice même.

Du même duo d’artistes, l’animation Translations (2012) se situe entre le jeu d’arcade vintage et la simulation d’un système gravitationnel, où des particules dessinent lentement des trajectoires indéfinissables. Soumis à des tonnes d’algorithmes ou libres de leurs mouvements, les points sondent un univers sans profondeur, dont il ne nous reste qu’à contempler l’évolution factice.

John Wood & Paul Harrison, enfin, ouvrent et clôturent le parcours. On retiendra surtout la vidéo Tall Buildings (2011), réitérant un procédé déjà expérimenté dans 10×10 (2011). Un long travelling chute le long d’un immeuble imaginaire, générant autant de plans qu’il n’y a d’«étages». D’un plan à l’autre, le même décor ressurgit, mais quelque chose change: un objet est ajouté, ou enlevé, un homme apparaît, immobile, change de position ou d’accessoire. La paralysie apparente de l’espace-temps fige des trames narratives, que le mouvement de caméra et le montage interne déploient visuellement.

Jetant un dernier regard sur leurs dessins Shadow et Balancing Act (2011), simples silhouettes d’homme symétriquement redoublées, nous quittons l’exposition avec le doux sentiment d’être passés de l’autre côté du miroir.

Å’uvres
— Maïder Fortune, Once, Forever, 2008. Vidéo noir et blanc, muet, boucle.
_ Angela Detanico et Rafael Lain, Or, Autrement, 2006. Double vidéoprojection couleur, muet. 8 min
_ John Wood et Paul Harrison, Tall Buildings, 2011. Vidéo HD, couleur et son. 14minutes 14 secondes

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