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Toile blanche

PClémentine Aubry
@12 Jan 2008

C’est pour une exposition sans peinture qu’Alain Gutharc donne «toile blanche» à Yves Sabourin, qui avait déjà, pour l’exposition «Métissages», associé la démarche d’artistes contemporains avec les métiers de l’artisanat du textile. Il rassemble ici sept artistes dont la pratique est en lien avec le textile, le mobilisant comme une base suggestive ou technique.

L’engagement de l’artiste est rendu visible et interprété par une technique qui implique, soit le choix direct de la matière textile, soit son incorporation dans des médiums traditionnels, ou encore sa seule évocation par l’entremise d’effets visuels ou d’une association de pensée. Mais les sept artistes ont d’autres points communs, notamment une certaine forme de sensibilité onirique, parfois liée à l’enfance, ou encore une propension à proposer une vision détournée de l’environnement social de tout un chacun.

Ainsi, Béatrice Dacher recouvre de matière brodée l’image d’un sans abri allongé à terre, et lui confectionne de la sorte une couverture protectrice. Les mailles façon canevas se confondent par leurs couleurs pastelles et leur aspect avec les pixels de l’image, comme traitée à l’infrarouge. La confusion visuelle des matières produit un effet ambigu: la forme humaine ainsi protégée se distingue à peine de l’environnement qui l’entoure, sa présence est comme banalisée, pour montrer, peut-être, que dans l’œil du passant, les sans abris font partie du paysage.

De manière quelque peu similaire, les œuvres d’Isabelle Jousset constatent un fait social et fonctionnent sur le mode des associations de pensée. Pour Au coin du feu, elle fait appel à une dentellière de Bayeux pour la réalisation d’un napperon, typiquement de ceux qui sont déposés sur une cheminée ou au sommet d’un téléviseur dans un intérieur ordinaire, celui-ci figurant une voiture qui brûle et au second plan des immeubles cubiques, qui semblent avoir été dessinés par une main d’enfant. Le monde privé et le monde extérieur sont confrontés ainsi dans un même objet.
Pour Caca boudin, elle se réfère à la coquetterie naissante des petites filles voulant imiter leur maman, et exigeant qu’on leur achète au supermarché des bijoux en plastiques les plus scintillants, mais du plus mauvais goût. Au moins vingt fois plus grands que nature, les coussinets en tissu ou en faux cuir rebrodés de paillettes roses, figurent tout un attirail de boucles d’oreilles, bagues, et collier de perle, reposent sur un socle rose s’apparentant à une barbe à papa… ou à un excrément.

Sur le même mode des correspondances d’idées, à la limite du jeu de mot, Christelle Familiari montre quant à elle la connotation sexuelle dans des associations de matière textile et de partie du corps humain, quitte à transcrire littéralement sous forme de portraits photographiques le sens figuré d’un vocabulaire spécifique (Peloter, Munition).

Toujours dans le registre de l’enfance, Jean-François Texier a décidé d’inverser une mécanique enfantine traditionnelle, et d’offrir en cadeau au Père Noël un slip géant tricoté par ses soins, accompagnant son présent d’une lettre explicative et pressante. Par ses mots, il transforme la figure mystérieuse et bienveillante du Père Noël en banale créature masculine, dotée d’organes, soucieuse de son confort vestimentaire et jouant de son pouvoir de séduction. Il emploie dans son discours un vocabulaire mi-drôle mi-grossier, et suggère ainsi l’ambiguïté du passage de l’enfance à l’adolescence par les jeux et langage à tendance sexuelle propres à cet âge.

Les Idées noires de Gaëlle Chotard, sont de minutieuses œuvres de tricot, des petites créatures arborescentes, des mollusques ou encore des végétaux finement cousus de fil noir. Comme les rejetons informes d’un imaginaire étrange et tourmenté, minuscules et pourtant si présentes sur le grand mur blanc, elles semblent douées de vie et prêtes à composer un théâtre en ombres chinoises totalement fascinant.

Avec Les âmes et Enveloppe de rêve, Martine Schildge simplifie elle aussi à l’extrême une vision du corps et de l’esprit, à travers des langues de tissu blanc vaporeux, et une poche de ce même tissu translucide, au contenu mystérieux, le tout flottant à mi-hauteur. A l’étude méticuleuse des idées noires, succède un épurement total, résumant l’humain à une enveloppe corporelle blanchâtre d’une neutralité autrement plus angoissante.

Pour terminer dans le clair-obscur, les photographies d’Anne-Lyse Broyer, Tours et Iles Borromées, ne sont que les évocations de la matière, une interrogation sur l’interaction du blanc et du noir, et l’atmosphère brumeuse des images rappelant les photographies romantiques de la fin du XIXe siècle.

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