ART | CRITIQUE

Times Goes On

PFrançois Salmeron
@30 Avr 2014

A travers «Time goes on», Damien Deroubaix renoue avec un univers onirique et inquiétant, peuplé de symboles du modernisme, d’être hybrides et de vanités. Dans cette série d’huiles sur toile, l’artiste utilise ainsi tout un panel iconographique morbide représentant la noirceur et les heurts de nos sociétés.

On pénètre dans l’exposition de Damien Deroubaix comme on s’égarerait dans un drôle de rêve, dans un cauchemar éveillé où se disputent des figures fantasmagoriques dégénérées. D’emblée, Messiah nous immerge dans un monde désolé, crépusculaire, post-apocalyptique. Comme si la grande catastrophe avait finalement eu lieu et que seuls quelques vestiges de notre civilisation subsistaient sur terre. Trois colonnes fluettes se dressent dans un paysage sombre. Seul le halo de la lune apporte un peu de clarté à la scène, Damien Deroubaix complétant le fond noir de ses toiles de quelques aplats verdâtres et violacés. Un crâne et un drapeau, signes d’une humanité perdue, vainement tournés vers le ciel, attendent la venue incertaine d’un messie qui, apparemment, aura été précédé par un mouvement de destruction massive. Plus aucun espoir ne subsiste, comme aucune douceur n’est désormais possible: les fleurs même ne sont au mieux que de maigres et piquants chardons.

Le monde dévasté de Damien Deroubaix semble ainsi se déployer sous la figure de la chauve-souris, animal hybride et nocturne, nous renvoyant vers des récits légendaires, fantastiques. My name is et Sueño présentent une même chauve-souris constituée de collages. Ses ailes déployées sont bardées d’yeux et abritent en leur sein deux étranges créatures qui semblent se nourrir de sa chair. Comme la louve protégeait Romulus et Remus, les fondateurs de la civilisation romaine, la chauve-souris, dominant le monde illuminée d’une auréole dorée, apparait comme le paradigme d’une nouvelle société morbide, vampirique et sanguinaire.

Le vocabulaire de Damien Deroubaix s’articule donc autour de quelques figures archétypales: la chauve-souris, le crâne des vanités, la lune maléfique, les chardons et les colonnes, pauvres vestiges de la nature et de notre culture. Des constellations, des têtes décapitées, un serpent ou une statue aux ailes arrachées constituent également les icônes de «Time goes on». Par là, Damien Deroubaix accole ces symboles les uns aux autres pour faire signe vers un univers onirique et ravagé.

Dans Feeble screams from forest unknown, un corps amputé est empalé sur un pic. Il n’en reste que le bassin et les deux jambes, comme si le chien au crâne de bouc qui se trouve à ses pieds, l’avait partiellement dévoré et s’en repaissait en se léchant les babines. Damien Deroubaix a toutefois greffé deux yeux sur les cuisses du corps amputé, esquissant finalement avec son sexe un visage humanoïde. L’artiste semble alors trouver dans le dadaïsme et le surréalisme de fécondes sources d’inspiration.

Mais ces motifs nous renvoyant à la culture occidentale se trouvent aussi mêlés à des totems ou à des scènes de violence sacrificielle se référant aux sociétés primitives ou précolombiennes. Dans Sans titre A, une tête d’indigène est décapitée. Untitled AC représente en son centre une statuette criblée de clous pareille à une poupée maraboutée. Différentes formes de cultures semblent alors cohabiter, puisque ces figures sont accompagnées d’un serpent, symbole du mal dans le Jardin d’Eden et du péché qui se perpétue de génération en génération, ou d’un squelette et de crânes nous renvoyant à la fois au thème des vanités et aux rites mexicains du Jour des Morts. L’histoire de l’art occidentale se trouve donc complétée de quelques références folkloriques et cultuelles. La magie y a également sa place avec les boules de cristal et les constellations prédisant un avenir toujours plus sombre à l’humanité.

Benath the Remains et Furie se pensent toutes deux autour d’une sculpture ailée rappelant la Statue de la Liberté. Pourtant, l’une est décapitée et la flamme bleue qu’elle est censée brandir fièrement se consume stérilement par terre. Alors, notre civilisation aurait-elle perdu définitivement la flamme? N’y a-t-il plus d’idéal valable sous lequel se rassembler?

Enfin, l’exposition se prolongeait à l’atelier Rouart jusqu’au 26 avril. Présentant des dessins, des travaux préparatifs, une sculpture ou des œuvres plus anciennes, on y découvrait surtout la grande aquarelle Furies. Des cavaliers de l’Apocalypse au visage agressif ou désespéré se précipitent à grandes foulées vers la catastrophe. Les silhouettes d’un homme et de son petit chat contemplent paisiblement cette scène de panique, montrant par là le recul avec lequel Damien Deroubaix observe les frémissements et les folles gesticulations de notre monde.

Å’uvres
— Damien Deroubaix, Beneath the remains, 2014. Huile sur toile. 224 x 178 cm.
— Damien Deroubaix, Feeble screams from forest unknown, 2014. Huile sur toile. 224 x 178 cm.
— Damien Deroubaix, My name is, 2014. Huile et collage sur toile. 100 x 81 cm.
— Damien Deroubaix, Sueño, 2014. Huile sur toile. 100 x 81cm.
— Damien Deroubaix, Sans titre A, 2014. Huile sur toile marouflée sur toile. 224 x 174 cm.
— Damien Deroubaix, Furies, 2014. Aquarelle, acrylique, encre et collage sur papier. 330 x 450 cm.

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