ART | CRITIQUE

Thomas Schütte

PMarie-Jeanne Caprasse
@12 Jan 2008

Inauguration du nouvel espace d’exposition de la galerie Nelson avec le sculpteur allemand Thomas Schütte. Entre miniature et monumental, concept et sensualité, il construit des « monuments » et joue avec les rapports d’échelle. En fil rouge, son œuvre graphique : lieu d’expérimentation et de combinaison des idées.

En réalisant ses maquettes d’architecture, Thomas Schütte questionne le rôle et le statut de la sculpture dans la société contemporaine. Inversant la logique des usages, il part de l’architecture existante pour la réduire à l’état de maquette, de miniature. Une manière d’interroger les pratiques, en travaillant sur les rapports d’échelle, les socles et la mise en scène de ses œuvres.

Dans les années 1980, ses premières maquettes puisaient dans l’architecture de l’après-guerre en Allemagne. Aujourd’hui, ses « modèles » font plus particulièrement référence à la construction géopolitique de l’Europe. Mais c’est aussi les défaillances de l’architecture contemporaine qu’il veut mettre en évidence, en réduisant les échelles et en épurant les formes. Mieux encore, posées sur des tables-socles, ces maquettes sont élevées au rang de monument de notre civilisation. Véritables métaphores architecturales, elles expriment notre monde ; allégories de nos vies, vides, mises en boîte.

Au rez-de-chaussée de la galerie, la maquette Alte Hänger (Vieux hangar) fait référence à ces constructions d’après-guerre en Allemagne laissées à l’abandon. Schütte pointe du doigt ces traces d’un passé révolu. Une façon de ne pas oublier, de ne pas faire table rase du passé, même s’il est douloureux.

A l’étage, les Ferienhaus für Terroristen I, II & III (Maisons de vacances pour terroristes) figurent trois bâtiments construits sur le même modèle, à l’image de ces constructions en préfabriqué que l’on trouve aujourd’hui partout en Europe. Des immeubles dans lesquels on case la jeunesse, privée de tout espoir de changement, et qui fait le lit du terrorisme. Une manière pour Schütte de souligner que ce mal contre lequel se ligue l’Occident est constitutif de notre société. Les terroristes ont leur place dans le système et sont, après tout, des gens comme les autres, qui partent en vacances…

Dans un registre de sculpture plus classique et cette fois monumental, Schütte sculpte également depuis 1997, des corps de femmes dans l’acier ou le bronze. Lourds, souvent mutilés, ils s’imposent à hauteur d’homme sur une table-socle en fer. Ici, on peut voir deux de ses dernières réalisations datant de 2003. Elles sont réalisées en acier Corten, un matériau qui, après une semaine d’exposition, prend la couleur de la rouille sans subir de détérioration ultérieure. L’acier est moulé et les parties soudées, les formes creuses.

Femme n°15 représente un corps de femme nu, allongé, un bras tendu vers le ciel, comme si elle embrassait un amant invisible. Ses membres semblent taillés au couteau. Comme surpris dans un moment d’intimité, le corps dévoile des gestes d’émotion mais la tête est mutilée, le visage est privé de forme et d’expression. Le corps s’impose, lourd, volumineux, chargé de sens et de pathos qui s’inscrivent dans le métal.

Femme n°14 est plus abstraite. Les formes sont stylisées et harmonieuses. Elles expriment toujours une tension mais de cette simplification des formes naît un nouvel équilibre du corps en mouvement. Il s’en dégage une certaine harmonie, très éloignée de la vision de corps en souffrance à laquelle Schütte nous avait habitués.

Dans toutes ces sculptures, le socle fait partie de l’œuvre. Les figures de femmes reposent sur des tables de travail en métal à l’aspect rouillé et assez hautes. Elles font partie intégrante de l’œuvre et constituent une fil conducteur dans la série. Même chose pour les modèles réduits, posés eux aussi à hauteur du regard sur de grandes tables en bois clair.

Sur les murs des salles d’exposition, on peut également découvrir un autre axe de travail de l’artiste : des gravures et une aquarelle de femmes, ainsi qu’un porte-folio de gravures, Tabula Rosa (2004), qui nous emmène dans un monde plus satirique et énigmatique.

Thomas Schütte
— Femme n°14, 2003. Sculpture acier Corten.
— Femme n°15, 2003. Sculpture acier Corten.
— Alte Hänger, 2003. Bois et métal. Socle : 170 x 220 x 103 cm, hangars : 102,5 x 59 x 45 cm (chacun).
— Kriegendenkmal III, 2004. Bronze, bois et voiture miniature. Haut. : 168 cm, diam. : 63 cm .
— Sans titre, 2001.
— Sans titre (nu allongé) , 1991. Aquarelle sur papier. 46 x 61 cm.
— Ferienhaus für Terroristen I, II & III, 2002. Acajou, verre acrylique. I : 134 x 170 x 220 cm, II & III : 181 x 170 x 220 cm.
— Tabula rosa, 2004. Gravure. 70 x 60 cm.

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