ART | EXPO

The Unknown group

06 Nov - 27 Fév 2011
Vernissage le 05 Nov 2010

Cette exposition traite de la possibilité de l'émergence de l'individu/sujet au sein d'un groupe, et de façon connexe, l'émergence nécessaire du sentiment d'appartenance au groupe chez le sujet.

Dan Graham, Susan Hiller, Joachim Koester, Guillaume Leblon, Marc Nagtzaam
The Unknown group

Le Frac Bourgogne présente l’exposition « The Unknown Group » (commissaire: Eva González-Sancho) qui réunit des oeuvres de Dan Graham (Triangle Pavilion, 1987), Susan Hiller (The Last Silent Movie, 2007), Joachim Koester (Tarantism, 2007), Guillaume Leblon (Unknown Group, 2008) et un ensemble de dessins de Marc Nagtzaam.

L’exposition traite de la possibilité de l’émergence de l’individu/sujet au sein d’un groupe, et de façon connexe, l’émergence nécessaire du sentiment d’appartenance au groupe chez le sujet. Le parcours des oeuvres nous fera cheminer dans des territoires dont le fonctionnement vient révéler la pluralité des prises de positions et la difficulté latente de penser le collectif, en sentir à la fois le désir et la perte.
Entre le déploiement d’une capacité d’agir et l’expérience de l’impuissance, l’exposition nous invite à ne pas être nécessairement dans l’une ou dans l’autre de ces positions, mais bien plus dans un «au-delà» de tout dualisme.

Conçus pour l’espace de la galerie ou l’extérieur, les pavillons de Dan Graham sont des mélanges subversifs et parfois hilarants qui ont peu à voir avec la sculpture minimaliste. Ils empruntent tout aussi bien à la hutte primitive qu’à l’architecture et l’urbanisme modernes (grattes-ciels, immeubles de bureaux), aux centres commerciaux, aux pavillons de banlieues, aux kiosques à musique.
Pour expliquer l’expérience spécifique que traverse le spectateur face à ses Pavilions, Dan Graham écrit «Le spectateur devient obligatoirement conscient de lui-même en tant que corps/sujet percevant ; tout comme dans le monde social, il est forcé d’acquérir une conscience de lui-même en relation avec son groupe. C’est l’inverse de la perte commune du “moi” qui intervient quand le spectateur regarde une oeuvre d’art conventionnelle. […] Dans ce mode contemplatif traditionnel, le sujet observant perd la conscience de son “moi”, mais il perd aussi la conscience de faire partie d’un groupe social présent, tangible et spécifique, situé dans un temps et une réalité sociale spécifiques […].» (Dan Graham, «Public Space/Two Audiences» (1978), Ma position: écrits sur mes oeuvres, Villeurbanne, Nouveau Musée/Institut, Presses du réel, 1992, p. 111)

Triangle Pavilion (1987) agit dans sa tentative de « contenir » ce que montrent les parois de verre: à la fois l’inclusion et l’exclusion du spectateur et de son environnement. L’oeuvre révèle et à la fois neutralise et pacifie les relations en plaçant les visiteurs dans un rapport de face à face biaisé. Pour l’artiste d’ailleurs, la tâche de l’oeuvre d’art n’est pas de résoudre des conflits sociaux ou idéologiques, ni de construire de nouvelles oppositions, mais d’attirer l’attention sur les failles des diverses représentations idéologiques en révélant leur caractère conflictuel.
Triangle Pavilion fonctionne tel un dispositif dissonant avec ses parois vitrées et sa transparence qui évoquent à la fois les « zones de confort communicationnel » de nos centres urbains devenus des espaces commerciaux et la nature même d’un espace public qui se transforme et exige une nouvelle conception de la politique, fondée sur des identités hétéroclites.

Semblable dispositif dissonant apparaît dans le film de Joachim Koester. Sans décor, ni musique, Tarantism (2007) livre au spectateur la vision de corps livrés à une gestuelle non conventionnelle. En faisant «jouer» la tarentelle par des danseurs, Joachim Koester engage le spectateur dans une confrontation avec sa propre capacité à situer et à reconnaître un comportement normatif. La transe dans laquelle se trouve chaque danseur peut apparaître alors comme engageant soit un processus d’émancipation, soit d’aliénation selon le rapport que l’on entretient avec le comportement normatif. Les hommes et femmes de ce film semblent tous être à cette infime limite, sur ce bord tranchant de l’expérience collective et du décentrement qu’elle implique.
L’espace ainsi créé par Joachim Koester élabore en effet la possibilité d’envisager l’émergence d’autres positions puisque les corps laissent deviner une cohérence et un fonctionnement partagés et construisent «une plate-forme anthropologique pour un voyage vers la terra incognita de l’organisme». (Joachim Koester).

Chez Marc Nagtzaam, dessiner c’est construire un lieu inconnu que l’artiste et le public peuvent habiter: «Les dessins –dit-il– sont comme des espaces vides, parallèles au monde, j’essaie de créer un lieu qui n’est pas clairement défini.» Réalisés au graphite gris, ses dessins trouvent leurs sources dans des détails d’architecture, le vocabulaire du graphisme, des photographies, des sommaires de revues.
Ces différentes sources sont réduites à leur plus élémentaire expression. Points, lignes, droites, rayures, bandes, surfaces et mots créent un espace sur la surface du papier et, malgré les contraintes de la feuille et l’austérité la grille, se libèrent jusqu’à parfois s’éprouver directement sur le mur d’exposition.
«Il y a dans les compositions lumineuses de Nagtzaam, un degré de liberté et de jeu (des plus radicaux) qui donne à son travail un sens organique ne s’accordant que superficiellement aux angles et à la mécanique minimaliste. Nagtzaam n’est que marginalement intéressé par les systèmes, les séries et les permutations, pas plus qu’il ne garde de sentiment amoureux pour la poésie accidentelle des mathématiques, pourtant populaire parmi les dessinateurs de tendance conceptuelle.» (Dieter Roelstraete, « Twittering Machines », écrit à l’occasion de l’exposition de Marc Nagtzaam, Nothing Rhymes, ProjecteSD, Barcelone, 2008, trad. Sandrine Rebeyrat).

Dans The Last Silent Movie (2007), Susan Hiller propose l’exploration de langues éteintes ou en train de disparaître. Elle confronte le spectateur à la dualité qui réside au coeur même de l’archive, une présence qui supplée à la disparition, une archive qui montre ce qui n’existe peut-être déjà plus. L’écran noir ne s’anime que de phrases qui sont les traductions écrites de ce qui ne se dit qu’ultimement sur la bande son. Dans cette oeuvre, la trace sonore se double donc de l’effort de traduction et rend perceptible l’ambiguïté propre à la notion de culture telle qu’elle est envisagée dans la tradition occidentale où selon Homi Bhabha, le symbole même d’une posture cultivée ou civilisée est précisément la capacité à situer et apprécier les cultures dans le cadre d’une sorte de musée imaginaire. Susan Hiller montre ainsi combien l’acte de signifier contient en soi une limite qui lui échappe déjà.

Unknown Group (2008) de Guillaume Leblon se déplace à l’intérieur de signes multiples. Le visiteur se trouve dans un face à face avec ce qui serait de l’ordre de l’image d’un paysage en attente de son déploiement. Unknown Group joue sur la perturbation de voir l’extérieur gagner l’intérieur. L’oeuvre pourrait tout aussi bien évoquer un « intrigant » appareil de mesure de l’espace. «L’indéfinition vaporeuse des objets et leur nature non localisable, ainsi que leurs caractéristiques paradoxales et discordantes –présentes par exemple dans Unknown Group– sont la clef qui explique que chacun d’eux puisse devenir une partie d’une autre chose, même si cette autre chose peut sembler antithétique et impropre. Les oeuvres de Guillaume Leblon sont comme des auréoles, espaces de transition qui mettent en relation des aires, des niveaux et des champs de signification différents […].» (Manuel Olveira, «Rien dans l’attribut, tout dans le détail, particularités à foison», in cat. Guillaume Leblon. Parallel Walk, Frac Bourgogne, Dijon ; Centro Galego de Arte Contemporánea CGAC, Saint-Jacques-de-Compostelle, 2009, p. 13.)

Les oeuvres présentées dans l’exposition « The Unknown Group » déploient donc autant de propositions d’«agirs» multiples sans toutefois se situer dans le «déjà-connu». Ces territoires d’action, territoire de l’oeuvre et territoire de l’exposition par extension, esquissent les contours de ce que Homi Bhabha nomme le «tiers-espace», un espace d’altérité qui se distingue notamment par son potentiel créatif permettant d’échapper aux attendus et au normatif.

critique

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