ART | CRITIQUE

The Sick Opera

PIsabelle Soubaigné
@12 Jan 2008

Aquarelles, installations, vidéo et mises en scène hétéroclites composent l’exposition « The Sick Opera » de Barthélemy Toguo où se mêlent souffrance, amour, désir, peur... Une sorte de métaphore de l’existence, de spectacle de la vie, obsession récurrente dans l’œuvre de l’artiste.

Comme un écho à la diversité artistique présentée au Palais de Tokyo, l’exposition « The Sick Opera » de Barthélemy Toguo se déploie sous différentes formes. Aquarelles, installations, vidéo et mises en scène hétéroclites imprègnent l’espace de sentiments divers et antagonistes : souffrance, amour, désir, peur… Cette déambulation, métaphore de l’existence, crée des rencontres inattendues. C’est ici que se joue le spectacle de la vie, obsession récurrente dans l’oeuvre de l’artiste.

Head Above Water, ensemble de 96 cartes aquarellées, nous introduit dans un périple vécu à travers la Yougoslavie, la Serbie et le Kosovo. Témoignages d’étudiants, visions du monde mêlées d’attentes et d’inquiétudes, les phrases inscrites au dos de ces cartes postales artificielles s’exposent comme un carnet de route.
Trajectoires subjectives, classées et assemblées par l’artiste, les différentes silhouettes de têtes colorées guident notre regard sur l’ensemble de la surface. Cette carte géographique qui possède sa propre légende, son propre langage, nous invite à parcourir un pays aux reliefs plus ou moins accidentés.

On s’avance vers Dreams Catchers qui s’étend sur le mur comme une succession d’images passées aux rayons X. Ces aquarelles aux couleurs verdâtres rehaussées ça et là d’orange et de rose donnent le ton. Des clous, empreintes translucides, épinglent des rêves surréalistes, les emprisonnent dans la trame du papier. Bestiaire fantastique, animaux et corps humains aux profils qui se mélangent, portent sur leurs contours les marques de leurs captures.

Au fond de la salle, le rideau s’ouvre sur The World’s Greatest. Quatre chaises en bois disposées face à la scène nous invitent à nous asseoir pour assister à un spectacle étrange.
Deux grands portraits, cartes à jouer démesurées, nous fixent de leurs regards vides, nous prennent à partie. Le sol, recouvert de coton, laisse émerger des tampons encreurs basculés, hors échelle, supports de phrases ironiques. Pierres tombales sorties de la brume, ces éléments entourent un cercueil et deux machines à coudre stylisées en bois. Des bobines de fils aux multiples couleurs s’élancent vers le ciel comme des lances plantées au cœur de l’oeuvre ou des serpents charmés qui se dressent au son d’une musique envoûtante.
Vision pessimiste de la réalité, mise en espace d’une mort annoncée, le quotidien semble cousu de manière fragile et aléatoire. Les deux personnages deviennent des victimes, enfermées dans leurs rôles d’acteurs impuissants. La vidéo diffusée à leurs côtés nous présente peut-être leur bourreau qui arrose un bouquet de dollars dans un pot de fleur. Il semble cultiver son pouvoir d’achat mais aussi sa propre disparition.
Cette comédie dramatique affiche l’image d’une société capitaliste qui porte en elle ses propres armes de destruction.

La séquence touche à sa fin, la représentation est terminée. Un voile tombe sur deux autres installations disposées dans la salle. Deux tables abritent sous des moustiquaires des petites sculptures en terre glaise émaillées. Having Sex Kills interroge la sexualité. Ces objets érotiques tantôt dissimulés sous des couleurs proches du camouflage, tantôt associées à des formes végétales se transforment en machine de guerre. La menace vient de l’intérieur. La protection de gaze enferme le danger alors qu’elle devrait nous en préserver, et l’éclairage presque clinique qui surplombe ce “berceau” semble fertiliser les risques.

Notre déambulation s’achève au pied de Climbing Down. Trois lits superposés accueillent de part et d’autre des sacs en plastique, bagages de fortune pour personne en transit. Les échelles disposées sur les côtés désignent la possible ascension. Elles soulignent cette tour de Babel qui ne demande qu’à proliférer. Apologie d’une éventuelle élévation ou mise en avant du déracinement de l’homme, l’oxymore induite par le titre nous confronte une fois de plus à un mouvement, à un va et vient incessant.

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