PHOTO | CRITIQUE

The Essential Disturbance

PClément Dirié
@12 Jan 2008

À la fois graphiste, skateur professionnel et photographe, Ed Templeton propose une œuvre corporelle et violente ancrée dans la culture skate entre Sex, Drugs and Rock, entre intimité et exhibition. Où la culture urbaine du skate sature d’un coup l’espace du musée.

Ed Templeton nous est présenté comme une des figures majeures de la scène skate internationale, à la fois graphiste et directeur de la Toy Machine Bloodsucking Skateboard Company, skateur professionnel et photographe immergé dans son sujet. Exposé au Palais de Tokyo, à deux roulettes d’un des spots parisiens les plus fréquentés, il nous fait entrer dans son univers mental, dans un monde où la triade Sex, Drugs and Rock possède encore toute sa pertinence.

Au milieu de l’espace dédié à The Essential Disturbance, trône une rampe de skate, peinte par l’artiste.
Nouvel objet emblématique d’une génération, et plus particulièrement des adolescents dont l’artiste dévoile le quotidien, la rampe remplace le lit au cœur de l’accrochage intime — Templeton se propose de recréer une chambre d’adolescent-type. Et désire faire état de sa mémoire personnelle.
Objet autour duquel tout se joue et tout se détermine, à l’intérieur du musée comme dans cet extérieur codifié auquel elle renvoie, la rampe est ce totem qui explique la «folie» et la «violence» des images qui l’entourent, qui conditionne les codes vestimentaires, qui justifie les blessures exhibées sur les images, comme autant de trophées de cette culture ici en représentation.

C’est donc à une plongée dans l’intime et le quotidien que nous sommes conviés, résultat de sept années de travail photographique et artistique d’Ed Templeton. Voir et lire le journal intime, à la fois fictif, exemplaire et brut, d’un skater élevé au rang de modèle.
Les murs du Palais de Tokyo sont traités comme ceux d’une chambre : personnaliser le white cube en y faisant figurer la culture skate.

Sur un fond vert, des nuages de couleurs et une pluie arc-en-ciel, inégalement répartis, constitue un arrière-plan qui, malgré sa fadeur, apparaît comme a priori plus poétique que les images qu’il soutient. Cette couche «naturelle» s’efface progressivement derrière les images-icônes accrochées serrées les unes contre les autres. La culture urbaine du skate sature d’un coup l’espace brut de la ville/du musée. Expression/vision de l’angoisse d’une existence qui tourne en rond: le mouvement du skate sur la rampe est celui du ressassement — la même scène apparaît souvent plusieurs fois — tandis que la vacuité est, peut-être, ce qui se dégage de ces portraits d’adolescents, de ces scènes du quotidien.

Par ailleurs, l’accrochage rappelle étrangement celui des expositions telles qu’elles étaient présentées il y a deux siècles, conduisant à un flou et un trop-plein favorables à l’impression d’ensemble. Images du temps officieuses devenues officielles quoique toujours choquantes, comme nous l’indique un panneau à l’entrée de l’exposition.
Au début non saturé, l’espace le devient progressivement en même temps qu’il se «flouise». Les murs et les images se mêlent, la pluie arc-en-ciel faisant office de relai. Le milieu skate s’approprie l’espace urbain/muséal et le détourne à ses propres fins.

Deux séries de photos, à part, semblent constituer le début de l’installation : l’une, encadrée, propose seize portraits de fumeurs; l’autre, tenue à un fil par des pinces à linge nous fait découvrir une ville, un couple qui s’embrasse. Voici les protagonistes de la scène skate, les sujets du travail de Templeton, les objets de l’art exposés, les éléments de la saturation à suivre.
Puis, le chaos prend forme. Le «Nothingness» s’installe en même temps que les supports se multiplient: peintures, photos, croquis, esquisses, dessins, fragments d’écriture… Chaque image appelle une histoire et contient toutes celles qui lui répondent dans cette volonté d’accumuler les preuves d’une existence, de diversifier la prise anecdotique sur le monde (entreprise semblable à la vocation du Palais de Tokyo ?)

Et c’est là justement que se dessine l’interrogation face à cette frénésie, à cette nouvelle Fureur de vivre. Où se situe la part du posé ? Quelle mesure de la «Real Life» ces documents nous donnent-ils à voir ?
Ni photo-reportage, ni recherche esthétique pour magazines spécialisés, le travail d’Ed Templeton peut alors se situer dans un entre-deux où la posture est une attitude, partie intégrante du quotidien. Accéder à la reconnaissance de ses pairs, adhérer aux codes de la culture skate.

Il s’agit de se montrer au risque/au plaisir de choquer et d’intriguer. Exhibition des blessures, monstration de la nudité, omniprésence des succédanés sexuels : la présence du corps, paradoxalement rendu par le flou des contours, est peut-être cette perturbation essentielle que vise le titre. A moins que celui-ci ne se réfère à l’étrange poésie que distillent ces images esquissées, proposées dans un Palais de Tokyo ouvert et perméable.

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