ART | EXPO

Tephra

16 Mai - 06 Juil 2013
Vernissage le 15 Mai 2013

Les œuvres d’Adrien Missika sont marquées d’un fort attrait pour les «monuments oubliés» du modernisme ou les phénomènes naturels, ainsi que pour le voyage. Elles apparaissent comme autant de moyens de transmettre une relation physiologique au monde, ce dont témoigne notamment ici une vidéo tournée sur l’Île de la Réunion.

Adrien Missika
Tephra

Adrien Missika s’inscrit dans la tradition des artistes voyageurs. Il endosse tour à tour, au cours de ses périples, la posture du touriste, de l’explorateur ou du scientifique. Attiré par les formes construites ou naturelles, les édifices inachevés ou oubliés, comme par les phénomènes géologiques, il affirme aujourd’hui une prédilection pour une nature originelle à la force primitive. Les motifs de la vague, des îles, des déserts, des volcans et de leur végétation deviennent prédominants.

Son œuvre, diversifiée et foisonnante, entretient une relation indéniable avec les archétypes de l’image publicitaire et touristique dont il reconnaît l’efficacité visuelle. A l’instar des artistes du Pop Art, il s’imprègne de ces images et opère par glissement. Il revisite ainsi un genre traditionnel, le paysage, à une époque contemporaine où la confusion règne souvent entre «la carte et le territoire», entre l’image et l’expérience physique du monde.

Intitulée «Tephra», terme qui désigne la cendre et les fragments de roche expulsés en l’air au moment d’une éruption volcanique, l’exposition regroupe un ensemble de pièces produites, pour la majeure partie, à l’issue d’un récent séjour sur l’Île de la Réunion. Cette destination, motivée par le désir de dresser un portrait du Piton de la Fournaise, se place dans la continuité d’un «world volcano tour» qui, depuis deux ans, a conduit Adrien Missika sur le volcan Kilauea à Hawaï, sur le cratère d’Ubehebe en Californie et sur le Stromboli aux Îles Éoliennes.

‘A‘Ã Clone, moulage en aluminium d’un fragment de roche magmatique, prélevé sur le Piton de la Fournaise, ouvre l’exposition. Cette présence indicielle qui, dans sa présentation, reprend les règles muséographiques des muséums d’Histoire naturelle, est doublement signifiante. Elle rejoue littéralement par son processus de fabrication, celui de la lave, sa matrice. Elle évoque également, de façon plus métaphorique, le travail de post production entrepris par Adrien Missika, de retour de voyage, à partir des matériaux et des impressions collectés.

Dans la vidéo Tephra horizon, la diversité des points de vue, tour à tour aériens, caméra à la main, panoramiques, plans fixes, comme la multiplicité des cadrages, en plongée ou contre plongée, de près ou de loin, sont autant de moyens de traduire une vision subjective et panoptique, une relation physiologique avec le Piton de la Fournaise. Adrien Missika sublime ici, dans une succession elliptique de plans contemplatifs, l’attraction et la beauté paradoxale d’un paysage, lunaire et désertique, calme en apparence et toujours menaçant qui, dans un processus de réversibilité, évoque à la fois l’origine et l’apocalypse, le devenir et la ruine.
Cet environnement est le décorum d’un récit fictionnel. Un homme, à l’allure citadine, semble en quête. Il scrute, marche et prélève un fragment de lave qu’il fait tournoyer dans sa main pour en observer toutes les facettes et aspérités. Cette présence déconcertante reprend, non sans humour, les poncifs du romantisme, de l’homme face à la nature. Commandé au musicien Victor Tricard, avec lequel il collabore pour la quatrième fois, le «sound track» crée une ambiance sonore dont les dissonances répondent aux tressautements de l’image.

Tout en spatialisant la vidéo, il contribue à son appréhension sensible par le spectateur. La série d’images Cactus Frottage ainsi que l’installation murale Puddle Planters constituent la seconde partie de l’exposition. Leur esthétique «pop» contraste avec les images du Piton de la Fournaise. Elles opposent par ailleurs, le règne végétal à la minéralité de Tephra Horizon. Pour autant, ses œuvres, intimement liées, participent du même projet.
Sur les pentes du Stromboli, à l’aide d’un «book scanner», gadget conçu pour numériser des pages de livres en bibliothèque, Adrien Missika a scanné, à même le motif, les Opuntia Ficus Indica (figuiers de Barbarie) qui composent la série Cactus Frottage. Le processus d’enregistrement est important. Sans aucune possibilité de contrôle visuel de la captation, la main balaie de haut en bas les cactus. Le «book scanner» ne retient que les points de contact. Il en résulte des images à l’aspect fragmentaire et résiduel qui entretiennent une parenté avec les frottages surréalistes. Elles fonctionnent comme autant de réminiscences de la végétation des zones arides.

L’installation murale Puddle Planters est composée d’une trentaine de flaques en résine noire, accrochées en quinconce, contenant toutes une plante similaire, une Tillandsia Cyanea. La répétition du motif, avec un brin de malice, se développe au mur en trois dimensions selon un principe ornemental de papier peint. Puddle Planters correspond à la transcription sculpturale d’une impression visuelle, d’une image perçue sur les versants des volcans arpentés.
Elle décline sous une autre forme le plan de Tephra Horizon où une touffe d’herbe isolée, poussée dans la lave, se balance au gré du vent. Puddle planters rejoue également, dans une nouvelle configuration, l’installation Archipel, présentée cet hiver à la Salle de Bain à Lyon. Des images de flore volcanique, elles aussi isolées, étaient retro-projetées sur des stèles de verre brisé, plantées dans des monticules de résine posés au sol.

Adrien Missika, par la diversité des médiums utilisés et des formes proposées, photo, impression, vidéo et installation, transcrit en images l’expérience physique et multi sensorielle des paysages qu’il parcoure. Il dresse ainsi, sans sombrer dans le sentimentalisme, le portrait subjectif d’une nature originelle et primitive souvent hostile mais toujours attractive.

Au-delà de la transcription d’une expérience personnelle, ses œuvres offrent au regardeur un espace de questionnement sur sa relation au monde, à la nature et aux temporalités. Elles interrogent par ailleurs, et d’autant plus, à une époque contemporaine où le monde est à portée de main et de regard, où la technologie est omniprésente, où la population est en grande partie urbaine, où la relation à l’origine s’étiole, le fantasme d’un ailleurs promut par l’industrie du rêve et du tourisme.

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