ART | CRITIQUE

Talk is Cheap, Foot On, Head On

PNicolas Villodre
@26 Nov 2009

Adel Abdessemed occupe une large place à la Xe Biennale de Lyon. Notamment par ses petites pièces vidéo en forme de boucle: dans l’une un pied nu en gros plan vandalisant un microphone, dans l’autre une canette de Coca Cola. Sa grande sculpture lumineuse, toute en néons tortueux, schématisant un cerveau humain, occupe tout un pan de mur.

Outre deux vidéo projection Trust Me, et surtout la très puissante Hot Blood dans laquelle un acteur affublé d’un nez de clown clame dans la rue de façon hystérique «I’m a terrorist», Adel Abdessemed présente à La Sucrière des petites pièces vidéo telles queTalk is Cheap et Foot On.

Les vidéos sont diffusées sur des moniteurs à l’ancienne, à tube cathodique, posés à même le sol. À ces clips, il ne manque que la parole, et pour cause! Le son blanc est vraisemblablement celui du geste originel, pour ne pas dire original, iconoclaste, audioclaste, de la destruction de l’objet. Le microphone de Talk is Cheap (2005), en état de marche ou non, est purement et simplement détruit pour les besoins de la cause — la beauté du ou de la geste de l’artiste.

Au thème du sacrifice, récurrent, semble-t-il dans la production d’Adel Abdessemed, se mixe celui de la violence gratuite, propre à la jeunesse de toujours, celle de la Rome antique excitée par les combats de gladiateurs, les pauvres bougres irlandais alcoolos parqués dans les faubourgs de Londres, les blousons noirs, supporteurs de foutaises et tous les rebelles sans cause, les punks. Métro, brûlot, dodo est aujourd’hui leur devise. Le hooliganisme, la seule forme participative qui reste aux exclus, ce moment où le public s’invite sur scène, le spectacle dans la rue (qui n’a rien à voir avec le théâtre de rue) peut aussi être considéré comme un des beaux-arts.

La deuxième boucle de deux secondes, Foot On (2005), aussi sonore et en couleur, montre un pied nu écrabouillant une canette de Coca Cola. Elle peut faire penser au gag à répétition du clown américain Jango Edwards qui a l’habitude de compresser de sa puissante dextre les boîtes de bière qui passent à sa portée avant d’en avaler goulûment le contenu et/ou d’en asperger son auditoire le plus proche. N’étaient ces titres d’œuvres, plus conformistes les uns que les autres, en anglais, on pourrait considérer de tels gestes comme des actes de rébellion anti-impérialiste.

Le télencéphale géant vu en plan Head on (2007-2008), grossièrement schématisé par l’artiste mais spectaculairement figuré au moyen de tubes de néon blancs torsadés, perd de sa qualité neuroanatomique, pour pouvoir être longuement contemplé. Adel Abdessemed s’inscrit dans la tradition du détournement de la science par l’art (cf. les ouvrages savants plagiés par Lautréamont, les dessins mécaniques de Picabia, les fausses expériences de physique de Duchamp, les objets mathématiques sculptés, peints ou photographiés par Man Ray, etc.).

Le siège de la pensée comme sujet de méditation, depuis Léonard, on avait rarement vu ça. L’anatomie humaine, celle de l’homme et de la femme, les nus d’atelier, bien sûr, mais aussi celle de l’intérieur, les organes, les fœtus, les cerveaux sont graphiquement analysés par l’artiste de la Renaissance, les rayons X, le scanner ou l’IRM n’étant pas encore inventés.

Ici, le but n’est pas du tout réaliste. L’œuvre d’Adel Abdessemed est, dison, conceptuelle. Elle acquiert au passage une (troisième) dimension de sculpture lumineuse et prouve de façon sensationnelle que l’artiste peut, s’il le souhaite, de nos jours, remplacer le pigment par le photon.

En même temps, quoi de plus normal qu’Adel Abdessemed ait représenté, matérialisé, symbolisé le flux de l’activité nerveuse au moyen du courant électrique ?

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