ART | EXPO

Stefan Brüggemann

11 Oct - 10 Jan 2009

La pratique du refus de Stefan Brüggemann confronte le spectateur à ce qu’est l’art, aux attentes qu’il en a, et à la vanité du monde et de la culture.

Stefan Brüggemann
Stefan Brüggemann

Pour sa première exposition personnelle en France, Stefan Brüggemann (né en 1975 à Mexico City) a rassemblé un ensemble d’oeuvres – miroirs retournés, textes en lettrage adhésif, pile de posters – qui renverse de manière subversive les règles du jeu de l’art, en particulier ici celles de la représentation et de son contenu. Sa pratique du refus, qu’il matérialise dans des oeuvres volontairement très distanciées, confronte le spectateur à ce qu’est l’art, aux attentes qu’il en a, mais aussi plus largement à la vanité et à l’état même du monde et de la culture.

La proposition de Stefan Brüggemann est paradoxale tout autant que provocante par la manière dont il joue avec les codes artistiques pour mieux les réduire à néant. Adepte du recyclage, il reprend certaines formes artistiques comme des sources à disposition pour son propre travail.
L’histoire de l’art tombe dans l’oubli au profit de la surface des images. Par exemple, il utilise la typographie, la police Arial Black en majuscules, mais la référence artistique précise à l’art conceptuel l’indiffère, la typographie faisant aussi référence aux modes de communication. Dans ses
tableaux récents (Obliteration Series, 2006), les images sont en partie recouvertes avec une peinture aluminium. La posture nihiliste se livre sous un aspect souvent séducteur, prenant le spectateur au piège de sa propre culture artistique. Il qualifie en ce sens sa pratique de Twisted Conceptual Pop, association pour le moins paradoxale. La tradition est longue des artistes prenant le contre-pied de ce que l’on attend d’eux. L’oeuvre de Stefan Brüggemann la poursuit de manière implacable pour mieux nous confronter à la logique de l’état du monde et de l’existence, à la manière d’un constat quasi sociologique.

L’exposition est construite en trois espaces entre lesquels peuvent s’établir de nombreuses connexions. Une petite salle d’entrée est entièrement peinte en noire et présente au sol une pile d’affiches imprimées d’un texte blanc sur fond également noir, référence à la sculpture minimale et à l’art politique que Stefan Brüggemann active à nouveau pour mieux souligner l’inutilité de toute ambition politique dans l’art, de même que toute dimension de contenu.

De part et d’autre, deux salles se font écho. Cinq Reversed Mirrors – miroirs retournés contre le mur – sont présentés dans l’une, et cinq Text Pieces – phrases en lettres adhésives noires – sont inscrites sur les murs de l’autre salle, en un jeu de réciprocité. Si le miroir est une forme récente dans la proposition de Stefan Brüggemann, les phrases sont en revanche très représentatives de ce qu’il a développé depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Il a en effet très abondamment usé du langage pour dénier la norme du «tout communicationnel» d’aujourd’hui où chacun est sommé d’expliquer, de commenter, d’élucider jusqu’à épuisement. Stefan Brüggemann oppose un langage du refus, postulats souvent négatifs affirmant le vide, l’absence, l’impossibilité. Les textes qu’il a choisis ici renvoient à la position de l’auteur ou encore à la nature de l’oeuvre. Ils sont provocants par ce qu’ils proclament.

Les cinq miroirs retournés face contre le mur font écho, comme en creux, aux cinq textes, et affirment le refus de leur fonction. Rien ne peut s’y réfléchir. Ni image. Ni idée. Par le retournement du miroir, Stefan Brüggemann dénie cette relation de l’art au réel, et de l’art au spectateur.
Le miroir manifeste aussi la simultanéité entre l’oeuvre et le spectateur, valeur du présent, de la présence consciente au monde que Stefan Brüggemann semble ici évacuer: From Anything to Anything in No Time inscrit-il sur un mur de l’exposition. Au cours d’un entretien avec Hans-Ulrich Obrist publié dans son catalogue Capitalism and Schizophrenia, il déclarait à propos d’un projet autour de l’oeuvre d’On Kawara : «J’aimerais trouver une attitude hors du temps envers le temps, et quelque chose qui devient hors du temps» (cat. Stefan Brüggeman, Capitalism and Schizophrenia, Turner, 2004, p.15). Partie du réél, Internet est une source de travail pour l’artiste, c’est pourquoi sa réalité temporelle peut être évoquée. Aucune information ne pouvant y être réellement effacée, toutes les informations s’y trouvent mêlées dans une temporalité quasi indéterminée.

Reflet parfait d’un monde où les lendemains n’ont plus de prétention à chanter, l’oeuvre livre avec sérieux les vérités de l’époque, nourrie des travaux des artistes de l’art conceptuel, poursuivant les négativismes qui ont marqué l’histoire de l’art du XXe siècle, dans leur versant nihiliste plutôt que romantique, ceux de la fin des mythes et des croyances, y compris ceux de la création. Les oeuvres renvoient parfois brutalement à la société de déception qui est la nôtre, mettant l’individu face à lui-même dans un monde sans repères géographiques ni temporels, un monde globalisé et sans but.

Claire Legrand
responsable du service des publics

L’exposition de Stefan Brüggemann (curator : Eva González-Sancho) est organisée par le Frac Bourgogne (Dijon – FR), en collaboration avec la Kunsthalle Bern (Berne – CH).
Le Frac Bourgogne reçoit le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication (Direction régionale des affaires culturelles de Bourgogne), du Conseil régional de Bourgogne et du Conseil général de Côte-d’Or.

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