ÉCHOS
06 Fév 2010

Stanislas Nordey, la lettre sans esprit

PSarah Ihler-Meyer
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Chantre d’un nouveau théâtre, celui du texte et non plus du personnage, Stanislas Nordey crée des mises en scènes identiques les unes aux autres, toujours froides, inexpressives et minimalistes, quel que soit l’écrit d’origine. Son dernier spectacle, 399 secondes, révèle une erreur de principe, à savoir l’équation que l’auteur établit entre la mise en avant du texte et la désincarnation des acteurs.

Le point de départ est intéressant: s’écarter des méthodes de Stanislavski et de l’Actor Studio, selon lesquelles le comédien doit se référer au personnage qu’il perçoit dans le livret de la pièce, pour en revenir au texte lui-même, à son souffle, à sa vibration. Selon Stanislas Nordey le comédien ne doit plus chercher et s’identifier au «caractère» qu’il perçoit derrière ou à travers le texte, mais au contraire en revenir à l’écriture, restituer quelque chose de sa pulsation, de son sens insensé.

Mais à partir de ce présupposé Stanilas Nordey demande à ses comédiens d’être «sans corps», d’être les porteurs d’une voix désincarnée. Conformément au principe selon lequel il faut s’en tenir au texte et ne pas chercher en lui des «personnages», les comédiens ne doivent pas faire transparaitre un «caractère» mais faire résonner les mots, la syntaxe, c’est-à-dire le corps du texte.

Le résultat est une déambulation de comédiens sans présence physique, des déclamations grandiloquentes, voire caricaturales, des gestes limités à l’horizontale et à la verticale, symboles de l’interrogation et de l’affirmation, grotesque. L’ensemble du dispositif scénique s’efface devant la sacro sainte parole.

L’erreur est donc la suivante. Partir du texte et s’en tenir à lui pour la mise en scène n’implique pas nécessairement le retrait des comédiens, de leur capacité à incarner. Bien au contraire, si le texte charrie une charge d’affects, une vibration, c’est davantage à travers la présence physique qu’on la fait ressentir qu’à travers la seule énonciation des mots.
Le sensible doit se confondre avec le dire pour rendre le texte à son sens sensible, et c’est bien ce dialogue que semble oublier Stanislas Nordey. Réduire le texte à ce qui est dit revient à manquer son souffle, à s’en tenir à sa lettre au dépens de son esprit.

Pire encore, à rebours de sa volonté rénovatrice, Stanislas Nordey renoue avec une conception classique du théâtre plaçant la parole et l’action au centre de la pièce. Sa conception va à l’encontre d’une des tendances les plus intéressantes du théâtre actuel, qui met sur un pied d’égalité la parole, le corps du comédien et les artifices scéniques, telle qu’on peut par exemple l’observer chez Joël Pommerat.

399 secondes de Fabrice Melquiot, mise en scène Stanislas Nordey.
Théâtre Ouvert (18 janv.-06 fév. 2010).
Avec
Benjamin Barou-Crossman, David Botbol, Christelle Burger, Laurent Cazanave, Yoan Charles, Marine De Missolz, Julie Duchaussoy, Vanille Fiaux, Manuel Garcie-Kilian, Jonathan Genet, Simon Le Moullec, Julien Polet, Emilie Quinquis, Chantal Reynoso, Anne-Sophie Sterck
Résumé
Quatre jeunes gens sur un cargo en route pour Shanghai où ils ont décidé de se donner la mort pendant une éclipse totale du soleil. Au même moment, pour un simple vélo, une jeune femme en poignarde une autre dans les rues de Berlin. Dans le monde des morts, deux jeunes défunts trouvent l’amour. A Oslo, deux frères tentent de voler le Cri de Munch pour l’offrir à leur jeune soeur muette…
Pièce chorale, polyphonique, poème inspiré sur une jeunesse entre choix radicaux et dérive, 399 secondes est un hymne au désir et à la vie.

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