ART | CRITIQUE

Sous vent

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Le voile recouvre le sol et les monticules d’objets fantomatiques, mystérieux, irréels qui le ponctuent… Une scène à voir, une scène à ressentir physiquement aussi — ne serait-ce qu’aux passages du souffle qui progresse jusqu’à nous.

«Annette Messager, encore ?» me disait un ami, alors que je lui annonçais l’exposition de l’artiste française à l’Arc, dans le bel écrin du couvent des Cordeliers. C’était un peu mon impression, aussi, d’avoir beaucoup croisé ce travail récemment. Il est en effet extrêmement présent sur la scène internationale comme sur la scène française, et l’Arc en particulier l’a présenté avec une grande constance, de l’exposition personnelle de 1974, «Annette Messager collectionneuse» à la rétrospective de 1995, «Faire parade». L’artiste n’y fait-elle pas elle-même allusion avec humour dans ce titre «Sous vent» qu’on peut choisir d’entendre autrement ?
Cette exposition, projet spécifique et inédit pensé pour ce lieu, est en fait un jalon majeur de sa carrière. Elle peut presque se lire comme la suite, cependant distincte, de la précédente, celle d’Anri Sala. Le lieu, chargé d’histoire(s), semble influencer les artistes qui sont choisis pour y intervenir (Nostradamus y serait enterré, le corps de Marat y aurait été exposé).

Messager a fait abattre les cimaises découpant l’espace de son prédécesseur : on pénètre donc dans une seule et longue salle plongée dans la pénombre, ambiance nocturne que l’artiste dit particulièrement apprécier.
D’un côté, bancs et chaises pour les spectateurs, de l’autre, séparé par une rangée de piliers, un long voile noir. De soie, aux bords déchirés, il prend la suite des filets qu’elle utilisait dans les années 1990 et dont elle recouvrait, comme dans Les Répliquants de 1999, des éléments de son monde (photographies, peluches ou animaux empaillés) en recyclant ainsi sa production de l’atelier — je me souviens avoir lu avec étonnement que l’artiste préférait le terme «base» propre à l’École nationale supérieure des beaux-arts où elle enseigne.

Le voile recouvre le sol et les monticules d’objets qui le ponctuent. Ces derniers, posés sur des tubes de néon, sont par intermittence éclairés et entourés d’un halo lumineux blanc. Le voile cache aussi, sur le petit mur droit, ce qui va produire l’action propre à l’œuvre, ce «vent» qui s’engouffre sous lui, de droite à gauche, pour le faire gonfler et monter progressivement sans jamais qu’il ne se soulève complètement. Une scène à voir, donc, une scène à ressentir physiquement aussi — ne serait-ce qu’aux passages du souffle qui progresse jusqu’à nous.

Dans un court texte du catalogue, Messager narre l’histoire de ces objets (issus de l’atelier, choisis pour le lieu), qui font partie de cet art des restes qu’elle affectionne — «mes choses, chez moi, par terre, que je manipule, déplace, triture». Leur caractère fantomatique, mystérieux, irréel est ici ce qui importe. Ils sont quasi-invisibles (à moins, pour certains, de les observer de très près).
Ils disparaissent parfois totalement dans ce qui semble les engloutir, une coulée de lave, un organisme en train de muer : la lenteur du soulèvement du voile, l’ampleur de la forme donnent en effet à l’installation un véritable poids, une matière.
À d’autres moments, le voile redevient une surface, évoquant celle de l’eau. Parcouru du souffle, il devient vague. Les objets (bouts de laine, peluches, poupées sans tête, masques, sacs plastiques de couleur, entre autres) évoquent, pris au fond de la mer, des pieuvres, des trésors perdus, des corps noyés, tronqués. Ils font penser surtout au phénomène de l’apparition photographique durant l’immersion dans le bain révélateur — l’artiste est friande de ce médium —, ce qui m’évoque des œuvres des années 1980 comme Les Effigies de 1984-1985.

L’aspect bricolé, théâtral et ludique de l’œuvre — les masques, par exemple, sont des caricatures d’hommes politiques; tout ce qui a trait à l’imaginaire enfantin sonne ostensiblement faux – ne permet pas totalement d’y adhérer. Le spectateur est ainsi doublement à distance de l’installation, qui ne déborde jamais de son territoire. Ce travail se présente à la fois comme le lieu, fascinant, d’une apparition inquiétante et de son engloutissement et pour ce qu’il est en réalité, des bouts de tissus rassemblés permettant à une scène fantastique de se jouer.

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