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Silence trompeur

Le travail de Marcelline Delbecq se concentre sur la potentialité cinématographique de l’écriture. En utilisant le récit, la voix, elle élabore un univers narratif mis en mots et en sons pour convoquer un ensemble d’images mentales. Cet ouvrage réunit un ensemble de textes écrits pour des installations sonores, des lectures à voix haute et des publications.

Information

Présentation
Marcelline Delbecq, Bertrand Schefer
Silence trompeur

Depuis une dizaine d’années, la pratique de Marcelline Delbecq a lentement glissé de la prise de vue à la prise de notes. La question de l’image s’y est incarnée en une forme essentiellement narrative, d’une écriture empreinte de mouvements et d’arrêts sur images, de passé et de présent, de fiction et de réel.

Silence trompeur réunit pour la première fois un ensemble de textes écrits entre 2007 et 2014 pour des installations sonores, des lectures à voix haute, des publications en revues ou des livres accompagnés d’images. Les lier entre eux pour ce recueil permet, en quelque sorte, d’estomper leur première vie.

Partie immergée de l’iceberg, persistance de la parole échappée, insatiable pourvoyeur d’images ambivalentes dans leur mélange de fixité et d’impalpabilité, le texte imprimé est empreint d’un curieux silence que nos voix intérieures de lecteurs ne cessent de briser: un silence trompeur.

Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition «Silence trompeur» présentée à la Fondation d’Entreprise Ricard du 22 janvier au 7 mars 2015.

«Une femme est allongée sur un lit. Sa tête est penchée en arrière, ses yeux clos, ses membres abandonnés. Elle s’offre au regard sans rien lui livrer. Plus je l’observe plus je sais que je ne sais rien de cette femme à qui Brassaï a demandé de poser et dont il a capturé l’image. Cette femme dont je ne sais rien est avant tout l’image d’un visage et d’un corps éternellement figés, inaltérés par le temps écoulé depuis le jour où Brassaï lui a donné rendez-vous dans la chambre d’un hôtel un peu miteux pour la photographier. Comment savoir si elle s’est évanouie, trépassée, opiomane débarrassée de ses accessoires ou tout simplement, comme son titre semble l’évoquer, prise sur le fait d’une jouissance dont aucun indice n’indique la provenance?

Le trouble le plus évident est que l’image s’arrête au haut de ses cuisses et qu’il est possible qu’elle ait juste eu le temps de baisser sa robe pour que rien ne soit montré. Sa position n’est pas vraiment celle d’une endormie. Elle est comme à demi relevée, la tête inclinée à l’extrémité du lit, les cheveux dans le vide. Comme si le photographe l’avait surprise au moment où son corps se relâchait après une séance d’hypnose. Son mouvement en suspens nous fait douter de tout. Et qu’a-t-elle vu avant de fermer les yeux? Et que voit-elle les yeux fermés, tandis que le photographe se penche sur son visage, bientôt offert à des générations de spectateurs qui jamais ne sauront ce qui s’est glissé derrière ses paupières, images pour toujours impossibles à deviner.

Si l’œil était une caméra et que la mémoire en conservait toutes les images, nous deviendrions fous, à l’instar de Funes, personnage de Borges dont la mémoire ne parvient pas à effacer ce qui d’ordinaire l’encombre, mais ajoute chaque seconde un supplément de vu et de sens à un cerveau saturé. Funes ne peut pas se souvenir de rien puisqu’il se souvient de tout. C’est l’absence d’oubli qui rend fou, pas l’oubli de l’absence.»
Marcelline Delbecq

Sommaire

— Prologue de Bertrand Schefer
— Poudroiements
— D’un lac, les océans
— Rapture
— Oublier, voir
— Silver & Dust
— Paradis
— Répertoire
— Un battement de cils
— Daleko
— Showtime
— … poudre aux yeux, alibi
— Vies immobiles
— Brumes
— Evidences
— West IV-VIII
— Blackout
— Des impressions, des ombres