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Shanghaï; Night Views

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Après avoir exploré les nuits de New York, Paris ou Tokyo, Floriane de Lassée présente à la Galerie Philippe Chaume ses Night Views de Shangai. Elle réussit à déceler au cœur de cet univers de gigantisme, de lumières et de baies vitrées les intrigues de la vie quotidienne.

C’est beau une ville la nuit. Personne n’a attendu Richard Bohringer pour faire ce constat. Et c’est lumineux. Sans lumières, la ville dans la nuit ne serait rien, rien ne la distinguerait de la campagne, elle perdrait l’une de ces particularités. Et c’est fascinant, ça réveille l’imagination et la curiosité, ça révèle une réalité invisible le jour. La représentation de la ville de nuit est souvent du domaine de la poésie, comme si elle existait intrinsèquement en elle, à la manière de ce que Pierre Sansot qualifie de poétique de la ville».
N’est-ce pas à la lueur d’un réverbère que le vin du chiffonnier du poème de Baudelaire réveille le cœur des «gens harcelés de chagrin» ? N’est-ce pas encore la nuit qui favorise les rencontres au cinéma de Charlie Chaplin à John Cassavetes ? La nuit toujours transcende et fait apparaître ce que l’on ne croyait pas y trouver.

Floriane de Lassée est elle aussi fascinée par les lumières des grandes villes, ce qui l’a déjà poussé à sillonner des mégalopoles telles New York, Paris ou encore Tokyo. En jouant sur la topographie des rues et des bâtiments hérissés, elle photographie la ville. Elle présente à la Galerie Philippe Chaume, les vues nocturnes qu’elle a réalisées lors d’un séjour à Shanghai.
Dans un premier temps, ses images dévoilent une ville aux formes architecturales audacieuses et futuristes : des tours panoramiques, des autoroutes suspendues, des immeubles en verre autour desquels émergent parfois une brume étrange et une mer de lumière électrique aux couleurs vertes, bleues ou rouges. L’architecture et sa mise en scène semblent être le sujet des photographies de Floriane de Lassée. Elle traiterait ainsi le paysage urbain comme un concept spatial déterminé par des configurations économiques, politiques et sociales.

L’électricité permet d’éclairer la ville et devient un outil pour figurer le pouvoir symbolique d’un espace. Shanghai, par son flot de lumières, qu’il provienne de l’éclairage public, des phares des automobiles, des enseignes publicitaires, affirme son statut de ville attractive. Mais l’électricité sert également à éclairer les espaces privatifs, les bureaux qu’abritent les immeubles modernes de Shanghai. Elle permet de révéler la vie qui habite ces grands immeubles. Une fois la nuit venue, Floriane de Lassée photographie les buildings aux structures vitrées qui s’éclairent et laissent apparaître objets et individus.
La photographe, puis à son tour le spectateur, se retrouve dans la position du voyeur dont la curiosité est excitée par la possibilité de démasquer l’intimité d’inconnus, et ainsi d’imaginer les intrigues de leur vie quotidienne. Une fois encore, une ville la nuit éveille toute une batterie de fantasmes et d’imaginaire, suggère une poésie de l’intime.

Cependant, les figures que le spectateur distingue sur les photographies de Floriane de Lassée sont-elles toujours celles de parfaits inconnus ? Inspirée par les bribes d’intimité dont elle est témoin à travers son objectif, Floriane de Lassée décide de se mettre en scène et de créer volontairement et par le biais de sa personne un sentiment de curiosité.
En utilisant des temps de pose très longs, elle abandonne son appareil pour s’installer à une fenêtre ou à un balcon, devenant à la fois auteur et sujet de ses photographies, étant aussi bien à l’extérieur et à l’intérieur des gratte-ciels qui la fascinent. Elle propose ainsi une manière bien à elle d’habiter l’espace des grandes villes en faisant resurgir intimité, curiosité et imaginaire dans un décor urbain en apparence déshumanisé.

Floriane de Lassée
— Shanghaï Night Views, 2005. Série de Photographies.

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