ART | CRITIQUE

Shaking Smooth Spaces

PJulia Peker
@12 Déc 2006

L’exposition «Shaking Smooth Spaces» rassemble douze jeunes artistes autour du concept deuleuzien d’«espace lisse», ouvrant les vannes d’une machine vivante à penser le monde. Les œuvres semblent annoncer un accident imminent, et bâtissent un équilibre fragile autour d’éléments hétérogènes…

En créant des concepts, le philosophe met à disposition des outils puissants et délicats. Loin d’être une construction abstraite tournant sur elle-même, un territoire sacré destiné aux spécialistes, la philosophie est une vaste boîte à outils où puiser pour être en prise avec le réel.
Le concept d’«espace lisse» a une étendue à la mesure de sa fécondité: il nourrit le philosophe comme l’artiste, offre un paradigme auquel s’alimenter. L’emprunt n’est pas un hommage contrit: la traduction en anglais suggère subtilement une réappropriation énergique.

Dans la philosophie de Deleuze, l’espace lisse est celui dans lequel toute ligne tend à devenir une ligne de fuite. Aucune trajectoire ne peut se mettre sur les pas d’un parcours tracé au préalable. Dans les «Shaking Smooth Spaces», toute avancée est une marche sur un territoire secoué de séismes.

Les artistes assemblés à La Générale sont aux couleurs de cette terre déstructurée: les univers réunis se font écho sans pour autant s’emboîter les uns dans les autres. Les œuvres se connectent tout en parlant des langues différentes.

Au centre de la grande pièce centrale, les sculptures d’Owen Bullett dressent leur silhouettes fragiles et graciles. Un morceau de bois taillé en spirale se déroule dans un mouvement de torsion, redoublé par le tracé complexe des veines ligneuses ainsi mises à nu. Un peu plus loin, une courbe découpée dans une mousse noire s’élance, déséquilibrée par sa légèreté.
Torsion et déséquilibre sont les seules lois de cet univers bouleversé.

Une installation à quatre mains de Florentine et Alexandre Lamarche/Ovize disposent les pièces d’une construction précaire, autour d’un squelette démembré, dessiné sur des panneaux et recomposé par la sculpture.
La main du sculpteur assemble autant qu’elle casse. Le regard se perd à vouloir réunir les éléments disparates qui forment cet ensemble incongru, où déséquilibre et fragmentation s’emparent de toute chose. Un chou vert promis à la décomposition fait office de tête sans visage à ce squelette asexué. Tenu par la force d’une simple vis, un câble pend de cette denrée périssable. A son extrémité, une bouteille de vin.
Comme la vie, le tout ne tient qu’à un fil: l’équilibre de l’œuvre est soumis à une horloge biologique imprévisible.

Une immense aquarelle de Damien Deroubaix renvoie l’image noire d’un monde pétri de violence. Cette énergie macabre contraste avec le patient travail d’assemblage auquel s’est livré Cyril Dietrich, pour réunir sur un même fil le plus possible de matériaux. Toute la matière du monde est embrochée sur cette ligne verticale, fragmentée en si petits morceaux qu’elle devient méconnaissable.

Suzanne Starke a suspendu un immense lustre, dans lequel est niché un personnage mi-ange, mi-démon. Un masque diabolique vient recouvrir le visage d’un corps enfantin, plongeant son regard fixe dans les yeux de qui vient se placer sous ce lustre menaçant.

Toutes ces œuvres semblent annoncer un accident imminent, et bâtissent un équilibre fragile autour d’éléments hétérogènes. L’ensemble trouve sa cohérence autour de lignes de fuite. Chaque pas s’appuie sur des brèches, pour avancer dans un espace où cartes et légendes ont été engloutis.

Anthea Hamilton
— Montecristo, 2006. Matériaux divers.
— Untitled (Robbie), 2005. Deux posters encadrés de la collection personnelle de l’artiste.
— Miroir noir (Rebecca de Monray), 2006. Photocopie Noir et Blanc.
— Untitled (L’Origine du monde), 2005. Huile sur cuivre.

Clément Rodzielski
— L’Origine du déclin du monde, 2006. Peinture, bois.
— Sans-titre, 2006. Bois, peinture, acier.
— Sans-titre, 2006. Casque, plâtre coloré, peinture aérosol.

Cyril Dietrich
— Jaune vertical – 01, 2006. Matériaux divers.
— Propolis, 2000. Construction sauvage, porte-cables, cables, cire d’abeilles.

Damien Deroubaix
— Révélations, 2006. Aquarelle et collage sur papier.

Elise Florenty
— Ring-A-Ring-A-Roses, 2005. Vidéo noir et blanc, son, 3mn environ.

Lamarche/Ovize
— Tot.Asextur, 2006. Installation, matériaux divers.

Olivia Plender
— The Masterpieces – Part Three, 2004. Sérigraphie.

Robin Kirsten
— Some Howl The Moon, 2006. Installation, matériaux divers.

Susanne Starke
— Hop Frog, 2005. Installation, matériaux divers.

Owen Bullett
— Columns, 2006. Matériaux divers.

Raymond Taudin Chabot
— Disposition, 2006. H.D. Cam. transféré sur D.V.D. 6 mn 10 s.

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