ART | CRITIQUE

Sarajevoarbeit/Le Travail Sarajevo

PAnne Lehut
@30 Mar 2011

Après deux expositions consacrées aux prémices de l’art conceptuel, la galerie Jocelyn Wolff propose une exposition personnelle de l’artiste suisse Miriam Cahn. Nous changeons alors radicalement d’univers, vers un travail graphique réalisé en réaction à la guerre de Bosnie-Herzégovine, tout en sensibilité.

Miriam Cahn travaille le dessin depuis de nombreuses années. En 1992, alors qu’elle poursuit ses travaux, dans une certaine habitude, les images de la guerre lui parviennent avec force, si proches. C’est le début d’une sorte de série, Sarajevoarbeit / Le Travail Sarajevo.

Le conflit, ressenti profondément par l’artiste, donne une nouvelle orientation à son travail graphique. La proximité et la violence des images l’incitent à revenir à des choses plus simples, comme si elle «recommençait à zéro». «Comme si je ne croyais plus à rien», raconte-t-elle. L’art face à l’histoire, encore une fois: face à cette crise vécue par Miriam Cahn, on pense à Adorno, qui déclarait qu’«écrire un poème après Auschwitz est barbare», et à tous ces peintres pour qui l’horreur avait rendu problématique toute tentative de figuration. Au milieu des années 90, près de cinquante ans après la Seconde Guerre mondiale, ces questions continuent heureusement de se poser aux artistes.

Pendant toute la durée du conflit (les accords de Dayton sont signés en 1995), Miriam Cahn dessine donc, à l’aquarelle, au crayon, à la craie, au charbon de bois. Le dessin est simple, l’élaboration visible. Les formats varient et le papier semble parfois avoir été récupéré, froissé, redécoupé. Tout ici est ultra-sensible, à commencer par la matière.
Qu’il s’agisse d’une sorte de nuage de graphite, très léger, ou au contraire d’un trait très gras, il y a dans la façon de poser la matière une réelle sensibilité.

La technique parle autant que ce qui est figuré. Tout n’est pas directement identifiable: on devine ici des corps mort (M.G.A. Tote), comme jetés rapidement sur le papier, pour se débarrasser d’une image lancinante, aussitôt biffés par de violents traits verticaux. Tout un ensemble de dessins présente des détails d’un visage, mais il y a aussi les regards effrayés, les chars… Et dans nombre de dessins, des empreintes de doigts, de pieds, comme la vie qui se manifeste, toujours.

L’accrochage est d’une grande simplicité: aucun cadre, aucune vitre. C’est l’ensemble de tous dessins de Sarajevoarbeit qui est montré à la galerie, Miriam Cahn indiquant sa grande difficulté à choisir.
Seuls quelques dessins sont cependant directement visibles. Les autres se trouvent dans une grande caisse ouverte, au milieu de la galerie. Le visiteur a la possibilité de les consulter. Il y a quelque chose de frustrant à ne pas tout avoir sous les yeux, mais quelque chose de sobre, en même temps: nul étalage des souffrances dont rendent compte les dessins. Ces travaux demandent une certaine introspection et il est bon de pouvoir les consulter ainsi.

Notons également que l’exposition présente des dessins plus récents, réalisés après 1995, mais qui restent liés au conflit: notamment avec des dessins qui réagissent aux débats autour de l’Islam qui agitent aujourd’hui l’Europe (Sarajevo 15 jahre später, 2009).

Les artistes doivent-ils se transformer en chroniqueur du monde contemporain? C’est un vaste débat, mais Miriam Cahn, si elle réagit à des évènements politiques, le fait en artiste avant tout, dans des travaux qui s’adressent à notre sensibilité bien plus qu’à nos opinions.

— Pigment on paper
— Junger soldat 11.10.93, 1993. 26 x 50 cm. Aluminium powder
— Junger soldat 11.10.93, 1993. 26 x 50 cm. Pencil on paper
— Weinende nach Picasso, 2000. Oil on canvas. 28 x 23 cm
— O.T, 1995. Oil on canvas

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