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Relax

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

Des photographies, des vidéos, des objets pour une expérimentation relationnelle, rationnelle et poétique du réel, du banal, du monde flou et précis des objets et des hommes. Avec le corps comme matériau et pour méthode : un défi permanent des règles de l’équilibre, une utilisation du hasard et de l’incertitude, un recours constant à l’humour.

Erwin Wurm agit sur la sculpture : il explore les concepts de volume, d’espace, de poids, en dépassant les avant-gardes, l’abstraction et le minimalisme, pour instaurer sans théâtralité un rapport au temps qui remet en question la frontière entre art et quotidien.
L’œuvre de Wurm est présente en trois lieux à Paris: au Palais de Tokyo, au Centre national de la Photographie, et à la galerie Art : Concept qui montre un ensemble de pièces très significatives du travail évolutif, méthodique de cet artiste rigoureux dans son humour même.

Ainsi, en entrant dans la galerie, on découvre une singulière scène d’atelier puisque la photographie intitulée Indoor Sculpture (Sculpture d’intérieur) montre que l’on peut se percher très haut sur une armoire. Ensuite, un vaste ensemble de photographies évoquent différentes situations et comportements représentés par Wurm lui-même: les vingt-deux Instructions for Idleness (Instructions de désœuvrement) nous incitent à revoir tout ce qui nous empoisonne la vie (par exemple, le travail: «Don’t work» est une invitation à la paresse.

En réponse à ces images fixes et colorées, l’installation Quetsch and Wumm rend hommage au philosophe Francis Bacon dans une expérimentation permanente des limites, à commencer par une investigation du bas, du sol le plus banal: une vidéo montre un homme en équilibre sur des balles de tennis avant de tomber, tandis qu’une grande photographie représente en contrepoint un autre homme écrasant des fruits sous ses pieds.

Dans la pièce suivante, une grande image très sexuelle, sans titre, montre une banane émergeant d’une prise murale dans un espace vide et clair. Non loin, un objet de petite taille (Mètre-étalon c’est-à-dire une pelle usagée prise dans la galerie) a été fiché dans le mur et marque une horizontalité duchampienne assez érotique.
Il y a aussi une forme de grande taille, intitulée Stand by the Pedestal: par l’un de ses bords, cette pièce massive repose sur un cornichon en plastique. L’artiste nous propose de rester à côté du socle (à la gauche de celui-ci) et de manger une saucisse («Stand by the pedestal — this side — and eat a sausage»).
À proximité de ce piédestal horizontal, se trouve une autre grande sculpture : Take this Position and Don’t Think (Prenez cette position et ne pensez pas) : la chaise longue du designer Olivier Mourgue nous invite à un repos vertical avec une indication supplémentaire de Wurm : «Mettez-vous à genoux, ne bougez pas et détendez-vous, posez votre front sur le siège». Enfin les grandes photographies (la tête émergeante dans Taipei Outdoor Sculpture et les lits redressés d’hôtels néo-zélandais — Hotelrooms (Picton, NZ) — nous rappellent sans cesse que la dérision, la poésie et la rigueur forment des armes efficaces contre la vanité.

Enfin, dans une chambre à part, le visiteur peut regarder en boucle Flight Simulator. La rotation du siège dans lequel le corps se tient comme il peut avant la chute fait de la sculpture une expérience perceptive. Le bord, le hors champ, le son et la couleur alimentent l’action, mine de rien, car, chez Wurm, tout ce qui crée le mouvement est au cœur de la tentation du déséquilibre: la périphérie et le centre, l’attraction d’un pigment coloré, la fascination d’une vibration sonore.

Car, lecteur de Descartes et de Kant, Erwin Wurm est également celui qui défie les règles de l’équilibre, celui qui utilise le hasard et l’incertitude pour construire des «psychosculptures» (Christine Macel) : photographies, vidéos, objets participent de cette expérimentation relationnelle, rationnelle et poétique du réel, du banal, du monde flou et précis des objets et des hommes.

Étirer, dilater, modifier l’image du corps relève d’un contrôle exercé par l’artiste mais également d’une reconfiguration des gestes qui construisent notre manière d’être à l’intérieur et à l’extérieur de nos lieux de vie, à travers nos déplacements. Et Wurm déplace nos représentations en cherchant une contiguïté avec les choses, en utilisant le corps comme matériau. Structurant le temps, il établit des rapports entre performance et documentation, en se jouant des petites catastrophes, des échecs qui permettent au fond de faire œuvre.

Compositions très étudiées, ses photographies, vidéos, dessins, objets surprennent par une simplicité si juste, qui touche profondément nos habitudes, nos comportements. Dans cette réflexion sur ce qu’est une sculpture maintenant, le cadrage répond au socle en étudiant les définitions possibles de celle-ci comme structure, action artistique, processus, volume, vide et plein, moment.
C’est l’action qui donne sens à l’œuvre en liant homme et objet, par le jeu de modes d’emploi et d’instructions souvent absurdes. L’éloge de la paresse rejoint les tentatives infructueuses. Proche des mises en scène de Anna & Bernhard Blume, Erwin Wurm garde une sobriété particulière, duchampienne, dans les actions réalisées, l’importance accordée à l’instant densifie ce qu’il convoque: le corps, la chose et le temps, dans le lieu, dedans et dehors.

Propositions de vie, légèreté grave face au monde, c’est ainsi que Wurm nous engage à participer à ce qui l’implique dans l’art d’aujourd’hui: une attention véritable au collectif et à l’individuel, une détermination discrète, persistante, dans la recherche des conditions de notre fragilité. La sculpture est alors une manière de vivre, une acceptation sage de notre précarité, un désir de dire autrement nos fictions quotidiennes, avec une dérision héritée de Dada.

Le travail de Wurm est une suite de questions, de faux ordres que nous pouvons interpréter librement. La force de son visage, de son corps, de ceux d’autres participants témoignent d’une nécessité: maintenir notre libre arbitre en toute chose. Loin de l’absence qui résidait dans les premières œuvres de poussière ou dans les sculptures de vêtements vides, les œuvres récentes poursuivent ce que ses célèbres séries, One Minute Sculptures, ont pu créer: le doute persévérant niché dans l’action la plus insolite, comme une insatiable curiosité vis-à-vis du monde.

Erwin Wurm
— Indoor Sculpture (Le Mans), 2002. Photo couleur. 50 x 75 cm.
— Quetsch & Wumm, 2001. Vidéo VHS, couleur et Photo couleur. 200 x 150 cm.
— Flight-Simulator, 1998. DVD couleur, muet. 10 minutes.
— Instructions for Idleness, 2001. Série de 22 Photos couleur. 65 x 43 cm et 43 x 65 cm.
— Stand by the Pedestal, 2002. Sculpture. Feutre sur bois, plastique. 82 x 150 x 40 cm.
— Mètre-étalon, 2002. Sculpture. Feutre sur pelle en plastique.
— Take this Position, 2002. Sculpture. Feutre sur Djinn chaise-longue d’Olivier Mourgue.
— Sans titre, 1998. Photo couleur. 96 x 130 cm.
— Taipei Outdoor Sculpture, 2000. Photo couleur. 80 x 120 cm.
— Hotel Rooms (Picton, NZ), 2001. Photo couleur. 160 x 127 cm.

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