ART | CRITIQUE

Ready-Made Part II

PIsabelle Soubaigné
@10 Juil 2008

Ready-made, Part II, propose une réflexion sur les enjeux de la pratique du ready-made contemporain. Où et comment situer la frontière entre le ready-made simple et ready-made assisté? Comment distinguer ce type d’objet d’une sculpture ou d’une installation? Le déplacement du quotidien à l’œuvre d’art est-il porteur d’une dimension poétique, humoristique ou polémique?

De nombreux artistes participent à cet événement et répondent de différentes manières à ces questionnements.
Untitled (Eiffel Tower, Pepper Mill) d’Haim Steinbach met en parallèle un symbole, la Tour Eiffel, et d’un objet quotidien, un poivrier. L’architecture de fer réduite à une reproduction en bronze est exposée près d’un ustensile en bois. Seule la forme et les stries qui rythment leurs surfaces respectives permettent de les rapprocher.
Tous deux objets de consommation, l’un décoratif, l’autre fonctionnel, se retrouvent dans un même ensemble. Qu’est-ce qui fait œuvre d’art ici? Le rapport qu’ils entretiennent entre eux? L’ensemble, présenté sur un socle en plexiglas et dans une galerie de renom? Le choix d’Haim Steinbach et sa volonté de nous en faire part?
La promiscuité et la poésie qui se dégagent de leur improbable rencontre rappellent avec humour que la pratique du ready-made est avant tout l’histoire d’un regard. Celui d’Haim Steinbach banalise l’image d’une architecture-icône du XIXe siècle, en l’exposant au même titre qu’une chose insignifiante.
Haim Steinbach confère une dimension artistique au poivrier mais semble alors “minimiser” celle de la Tour Eiffel. Ce jeu d’association de formes, auquel on a pu s’adonner un jour, devient ici un geste artistique.

Bertrand Lavier s’interroge aussi sur la frontière entre art et non-art et utilise pour cela plusieurs angles d’approche.
Son miroir, Firenze, recouvert de peinture métallisée mobilise différentes références. La touche apparente et les larges coups de brosse laissés sur la surface de l’objet ne sont pas sa seule manière d’évoquer l’histoire de l’art. Le miroir nous renvoie aussi à l’autoportrait, très souvent décliné au cours des âges. Cependant, il est ici inutilisable puisqu’il ne reflète plus aucune image, ni celle de l’artiste, ni celle du spectateur. Bertrand Lavier brouille les pistes. Il “usurpe” des moyens et des thèmes propres à l’art pour mieux les détourner et ouvrir un nouveau champ de possibilité et de réflexion.

Tout à côté, le ready-made assisté de David Renggli a l’apparence d’un objet abandonné, mais on sourit en lisant le titre de l’œuvre.
Ikea and Tina Turner se présente sous la forme d’une chaise carbonisée. La structure tubulaire métallique est détériorée et l’assise est inutilisable. Que signifie la mise en parallèle d’une marque de mobilier très connue et le nom d’une célébrité? Le point commun est une fois encore la société de consommation et les objets qui en découlent.
Face à cette œuvre, on pense à Fontaine de Marcel Duchamp. La chaise de David Renggli est comme l’urinoir sorti de son contexte et replacé dans une institution. L’intervention de l’artiste sur l’objet s’apparente au basculement à 180° opéré par Duchamp rendant l’objet du quotidien inutilisable.
Enfin, le titre est, non sans humour, dans les deux cas, une manière de remettre en question et de tourner en dérision des discours intellectuels devenus trop pompeux.

Cependant le ready-made peut aussi revêtir un aspect plus poétique. Sunnifa Hope élève au rang d’œuvre d’art les outils d’exposition, vitrines, socles et papiers bulle. Ces photographies évoquent, sans les montrer, le passage éphémère des œuvres dans les lieux où elles sont exposées. Seuls les dispositifs, qui se font d’habitude discrets voire invisibles, sont mis en valeur.
La trace et le souvenir sont alors partie prenante des propos de Sunnifa Hope. Peut-on conjurer la pérennité des choses, maîtriser notre propre condition humaine à travers l’art ou ce qui en reste?
La disparition se décline sous forme de nature morte contemporaine, lieux désertés laissés à l’abandon. L’artiste pétrifie des situations à première vue insignifiantes, mais c’est à travers elles qu’elle fait acte de présence. Elle révèle la banalité du quotidien qui devient sujet tout comme le Beau pouvait l’être à une autre époque.

L’œuvre de Saâdane Afif parle elle aussi des choses qui nous entourent. Elle expose jour après jour une partie du monde sous forme de journaux qui s’entassent sur un piédestal. Everyday (Le Parisien) constitue un geste politique. L’actualité s’infiltre au cœur de la galerie et nous confronte à ce qui se passe à l’extérieur de celle-ci.
L’institution n’est plus un écrin qui nous coupait du reste du monde pour nous permettre d’accéder à la contemplation sans être parasités par la trivialité de la vie courante.
Les productions artistiques sont de plus en plus investies de concepts qui se matérialisent dans des formes plastiques de plus en plus minimales. L’artiste n’est plus celui qui fabrique mais celui qui donne à voir ce qui aurait pu, sans son intervention, passer complètement inaperçu.

Jonathan Monk
A supporting Structure for a structural support, 2008. Scaffolding. 300 x 300 x 300 cm

Mike Kelley
Memory Ware Flat #36, 2003. Mixed media on wooden panel. 193,5 x 82,5 x 10 cm

Sunnifa Hope
And Again series, 2008. Inkjet print. 60 x 54 cm

Saâdane Afif

Everyday (Le Parisien), 2008. Local newspapers on pedestal. Dimensions variables.

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