PHOTO | INTERVIEW

Raymond Hains

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Raymond Hains donne sa Langue au chat ? Pas sûr ! A près de quatre-vints ans, l’artiste a toujours bon pied bon œil. Le Sigisbée de la critique ne s’en laisse pas compter. Au « hasard objectif » des surréalistes il préfère le « hasard télé-objectif ». La rencontre fortuite d’une de ses affiches à Bois d’Arcy est pour lui un choc, une surprise et une bonne occasion de prendre des photos.

Interview
Par Pierre-Évariste Douaire

paris-art.com ouvre ses colonnes à une longue série d’interviews consacrée aux artistes urbains. La succession des portraits permettra de découvrir les visages et les pratiques de ces artistes qui transforment la ville en galerie à ciel ouvert.
Raymond Hains est un artiste majeur de la seconde moitié du XXe siècle. Les affiches lacérées par les passants après guerre, avant d’être des toiles, ont d’abord été des photos et des films. Les objets qu’il ramène de ses promenades sont autant des indices que des photogrammes qu’il faudra par la suite ordonner, classer et déchiffrer.
Les palissades, exposées en musée, n’ont pas une valeur vernaculaire, mais procèdent du photographique. A l’instar de Etant donnés de Marcel Duchamp, la palissade est avant tout une machine de vision. La palissade pointe, dirige le regard, elle est indicielle. Comme à travers l’objectif du photographe, il faut regarder par-delà les interstices des planches exposées. La palissade est une camera obscura.

Raymond Hains nous demande de voir le monde autrement. La palissade circonscrit un chantier qu’il faut classer et ordonner. Le langage, à travers cette taxinomie, se révèle tout aussi important que le modèle photographique. Les associations d’idées, les jeux de mots sont le deuxième paradigme qu’utilise à loisir le « Chasseur de Cnac ». Un mot en appelle un autre, les villes et les lieux se répondent, le tout forme un labyrinthe en forme de charade. Face au cryptogramme de la réalité, Hains livre une traduction en forme de rébus, où les images et les mots se complètent.

L’afficheur Viacom a donné carte blanche à une vingtaine d’artistes, les deux premières semaines d’août 2004, pour réaliser chacun une affiche. Les grandes figures de l’art urbain ont été invitées à participer à cette grande opération estivale. Comme les cinémas en plein air, cette opération s’est soldée par une exposition de rue grandeur nature.
André, Futura 2000, Zevs, Shepard Fairey, Jonone, Miss Tic, issus de la rue, côtoient Hervé Di Rosa, Georges Rousse, Wang Du, plus habitués aux cimaises. Raymond Hains est le doyen du groupe. Ma langue au chat est une phrase déformée, selon le principe des verres cannelées, que l’on a pu voir sur les murs de France pendant quinze jours.

Raymond Hains. Pour l’instant je travaille, je travaille, alors je vais vous dire, je n’ai rien à déclarer. Je n’ai rien à déclarer.

Pierre-Évariste Douaire. C’est comme à la douane, vous n’avez rien à déclarer.
[Rires] Dans quelques jours il y aura des documents et on pourra voir alors.

D’accord mais j’aimerais vous posez des questions relatives à la campagne d’affichage de Viacom à laquelle vous avez participé.
Là-bas il y a plein de photos.

D’accord, on les regardera après. Comment vous ont-ils contacté ? Et bien je n’en sais absolument rien. Moi, je suis ami avec M. Dauphin et c’est eux qui les ont racheté. Ils ont choisi des artistes parmi lesquels il y a Moustique.

Vous voulez dire Miss Tic.
Oui, Miss Tic, mais il y a aussi Mathieu Laurette je crois.

Effectivement. Vous avez été content d’être affiché dans la rue ?
J’ai été très content de voir la Ma langue au chat dans la rue. Ce sont des colleurs d’affiches qui ont collé ça eux-mêmes. Il y a trois cents panneaux qui existent. Il y en a en France mais aussi à l’étranger. Mais personne n’a pu me dire où étaient mes affiches. On nous a dit que c’était les colleurs d’affiches qui s’en étaient occupé et qu’ils ne disaient rien. On a été obligé de tourner un peu partout dans Paris pour les trouver. Mais en général elles se trouvent en dehors de Paris, c’est complètement dans la banlieue. L’autre jour, nous sommes allez à Bois d’Arcy, et là j’ai eu la surprise de les voir, alors que je ne m’y attendais pas. Je lisais un livre sur Madame de Maintenon qui elle-même allait à Bois d’Arcy.

Le titre de l’affiche est Ma langue au chat
Et bien ce sont des déformations que j’ai faites il y a très longtemps, à la suite d’un rêve. J’ai rêvé d’une phrase et je me suis dis : “Il faut que je me réveille pour la noter parce qu’elle est très bien”. Elle disait : « Si le Saint-Esprit donnait sa langue au chat, l’onde de feu brûlerait les langues de chat ». Quand on pose des devinettes on dit « Je donne ma langue au chat ». Et donc voilà.

Est-ce que c’est une façon de tirer la langue aux passants ?
Non, ça n’a rien à voir avec tirer la langue aux passants.

Il y a un sens caché ?
J’ai déclaré « Je suis rabouteur de fiches », « je suis passé des affiches aux boîtes à fiches ». Il faut lire mes notes et mes fiches, normalement je n’ai pas besoin de parler. Il suffit de lire mes notes et mes fiches ! Et puis comme vous êtes de Saint-Brieuc vous pouvez aussi me poser des questions sur Saint-Brieuc !

D’accord, je voulais vous poser une question sur votre affiche…
J’ai été très content le 15 août 2004, car nous avons été à Saint-Cyr-l’École, car je voulais voir le viaduc de Maintenon. On a fait plein de photos, et les photos sont là, elles seront agrandies, voilà.

Vous avez donc écrit Ma langue au chat
J’avais écrit cette phrase et puis je l’ai déformée avec des verres cannelés qui m’avaient servi pour mes films abstraits. J’ai eu aussi des lunettes de verre cannelé. Je disais même que « l’amour ne serait pas à plaindre s’il portait des verres cannelés ».

Est-ce que votre affiche hypnagogique est là pour endormir les passants ?
Non, c’est pas pour les faire dormir. Moi, je n’en sais rien. C’est quelque chose d’insolite, ça se trouve là et puis voilà. En tout cas, j’ai été agréablement surpris de voir ça le jour du 15 août à Bois d’Arcy.

Pour vous, toutes ces affiches constituent-elles une exposition ? Ou bien est-ce juste des hasards que l’on peut croiser au coin des rues ?
Il y a une dame, très gentille, de la Tate Gallery qui est venue m’interroger sur le « hasard objectif » des surréalistes. Je lui ai dit que pour moi c’est du « hasard télé-objectif », d’autant plus que le hasard fait que Cartier-Bresson est mort récemment. J’aime bien ses dessins, il écrivait très bien aussi. C’est très intéressant. Même s’il a pris du temps pour écrire et pour dessiner, c’est quand même bien. Il a dit qu’écrire et dessiner prend du temps, tandis qu’avec la photo on a qu’à appuyer sur un petit déclic, et puis voilà. On pense même pas à ce que l’on fait, on voit l’œil qui saisit le temps. Alors j’ai trouvé ça très bien. Alors l’histoire c’est ça: c’est « pof », je prends ça. Alors pour moi, c’est ça qui arrive, quand je regarde dans la rue, je vois des choses qui me plaisent, je vois une voiture qui passe, des gens qui mettent des costumes de couleur qui me plaisent, alors je les saisis au vol.

A la galerie W, rue Burq, il y a quatre photos de vous.
Rue Burq c’est autre chose, ce sont des parasols qui sont en haut, là-bas, vers le haut de la rue Lepic, derrière le Moulin rouge. Il y a un restaurant couscous où allait Dalida, paraît-il, parce qu’elle habitait pas très loin. J’ai donc photographié des parasols multicolors, et on pourrait croire qu’ils ont été photographiés à Saint-Malo ou à Dinard.

Est-ce que vous avez envie que vos affiches soient attaquées, taguées, lacérées ?
Je souhaite que les affiches soit déchirées par tous et pas par Hains, je ne suis pas un lacérateur comme on le croit d’habitude, je ne suis pas un lacérateur d’affiches, ce qui m’intéresse ce sont les affiches lacérées par les passants.

Maintenant les passants bombent, taguent, ils ne lacèrent plus.
Ça c’est autre chose. Mais Io, la fille de Duchamp, qui habitait près d’ici, aimait les tags, et moi aussi j’aime les tags. C’est pour ça que j’aime Miss Tic qui est la reine des tags ! En bas de la rue il y a un magnifique camion qui est tagué.

Vous avez regardé cette année les campagnes anti-pub dans le métro ?
Je ne prends jamais le métro, car il y a des escaliers, et je ne peux pas les pratiquer. En plus, il y a une odeur que je ne peux respirer. Je ne prends que les autobus ou la voiture, soit des taxis ou des amis qui me trimbalent.

Est-ce que vous avez vu cette campagne anti-pub qui consiste à mettre une croix noir sur les affiches publicitaires ?
Moi j’adore la publicité, j’aime beaucoup les publicités que l’on voit sur les autobus, je considère que les designers sont les plus grands artistes, peut-être plus que les autres. Ils font des choses vraiment très drôles, alors c’est pour ça que je les admire beaucoup. J’aime beaucoup les camions touristiques qui sont peints, ils sont peints entièrement, ils emmènent les touristes à l’aéroport.

Depuis un certains temps, il n’y a plus beaucoup de palissades.
Non je ne suis pas d’accord. Max Jacob a dit à la fin de sa vie, au camp de Drancy: « Je suis une palissade en palissant ». C’est extraordinaire. Il n’a pas parlé de Monsieur de La Palisse, mais il a dit: « Je suis pâle comme un lys », parce qu’il était malade au camp. Quand on m’a questionné devant mon œuvre, j’ai pensé à Guy Debord qui avait fait un film, Hurlement en faveur de Sade, qui rencontrait les Lettristes, Isidore Isou. Le film a été présenté à Beaubourg dans Hors limites, et moi qui était très ami avec Debord, je n’étais pas situationniste, mais Debord venait chez moi tous les jours.

Miss Tic me disait qu’il n’y a plus d’affiches dans les rues.
Non c’est pas vrai, moi j’en vois. Même à la campagne il y en a. Il y en a encore. C’est peut-être plus pareil qu’à mon époque, mais il y en a encore.

Faites-vous attention aux papiers collés sur les gouttières, les panneaux de signalisation, sur lesquels beaucoup d’artistes s’expriment dans la rue aujourd’hui ?
Non, ça je ne savais pas. Mais j’aime bien les artistes qui s’intéressent à l’art de la rue, il y a Miss Tic par exemple. Il y a plein d’artistes que je ne connais pas, mais que vous vous connaissez. Je reçois souvent des invitations d’artistes qui me plaisent bien. J’aime beaucoup de choses même si je ne connais pas très bien. Mais la dernière fois quand on a été à Bois d’Arcy, ça a été un choc de découvrir cette affiche, c’était vraiment une surprise. Les photos sont assez drôles.

Qu’elles sont vos projets à la galerie W ?
Un livre de Louis Guilloux, Dossier confidentiel, qui se passe pendant la guerre de 14-18, a pour décors Budapest et Saint-Brieuc. J’en ai repris le titre pour dire que je parle, par exemple avec des gens qui m’interrogent, en me réservant le droit de parler de certaines choses ou pas, voilà. Il faut prendre certaines précautions pour parler de certaines choses.

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