ÉCHOS
02 Avr 2010

Quelle image?

PPaul Brannac
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La composition est relativement académique, et partant, passablement rébarbative. Le fond est bleu, d'un bleu sombre, éclairci en son centre et tirant alors légèrement sur le bleu-roi. Somme toute, il s'agit d'un repos de belle facture qu'ombre subtilement un double drapeau, celui de la France, occultant d'un pan celui de l'Union européenne.

Mais l’ensemble est par trop rigide. L’accolement sans grâce des trois figures exagère la répartition des masses et, n’était la main avancée par la figure centrale, le morceau serait sans profondeur aucune; la perspective y manque. En dépit de cette apparence un peu fruste, force est d’admettre que le mouvement est habilement saisi, l’expression parfaitement rendue. La figure de senestre, en particulier, est finement exécutée. Le nuancier y est restreint: chair, beige, bistre, rehaussé d’un éclat d’or qui contraste plus qu’il ne tranche avec l’ensemble des valeurs.
Au visage, le surplis de la chevelure accompagne la douceur du trois-quarts sans nuire à la frontalité du corps que rompt doucement l’orientation du regard vers la figure centrale. Celle-ci, d’un trois-quarts opposé, joue sur les contrastes du noir de la veste et de la cravate avec le blanc de la chemise, que l’on peut supposer légèrement bleutée; comme le collier d’or, le bouton de manchette, bien que non apparent, indique la qualité du personnage. La figure est représentée au moment où elle parle, la bouche entrouverte, la narine retroussée, les sourcils arqués, aigus.
A destre enfin, une figure plus grande, rappelant le trois-quarts de la figure centrale avec laquelle il partage les valeurs chromatiques du costume, bien que la cravate soit d’un bleu obscur. Les bras croisés rendent visibles la montre et le bouton de la manchette. L’expression du visage est contrite plus que soucieuse, la moue coléreuse, et les joues ainsi que le front fortement rougis. On ne peut que regretter enfin que l’œuvre soit si malhabilement datée par un cartouche excessif et balourd, bévue augmentée de l’indication de lieu, précision d’ordinaire réservée à la lettre.

On sait qu’une image, chacun des éléments de cette image, est tout entière formée de symboles et d’allégories. C’est pourquoi l’on éprouve parfois quelque difficulté à en saisir le sens. La littérature afférente à cette image est par trop abondante pour que l’on en puisse en faire ici état. A défaut donc d’exhaustivité, on avancera seulement qu’il s’agit de la représentation de hauts membres de l’Etat français au cours d’une allocution officielle. On balance cependant à savoir si la scène revêt un caractère historique ou contingent, reste qu’il s’en dégage un malaise certain.

La contraction des visages et l’apparente décontraction des gestes et des attitudes, notamment, ne permettent pas d’asserter s’il s’agit d’un spectacle vulgaire ou fastueux. Dans les deux cas, l’effet est manqué. On y voit sourdre trop manifestement l’infâme du fameux, l’ignoble du noble, comme si l’on avait vêtu des rustres d’habits pour eux trop amples.
On sent la peur y poindre et la cruauté approcher, l’ensemble est strapassé et le rendu malpropre. Cela sent la petite œuvre, la basse besogne travestie de devoir. Il y eut, à n’en pas douter, les plus vives réactions à la vue de cette composition. La mieux partagée fut d’en avoir honte, une honte tenace, plus poisseuse que celle d’être un homme.

La négligence de la facture rappelle certains des plus médiocres envois du peintre Noël Hallé qui compensait lui aussi la pauvreté de son talent par la grandiloquence de ses compositions. C’était il y a deux siècles et quelques années, et, à en lire le rapport qu’en fit Denis Diderot, on s’aperçoit comme la critique s’est gantée depuis lors.
Au Salon de 1763, à propos de l’envoi d’Hallé, Diderot donc écrit: «Cet homme a la rage de choisir de grands sujets, des sujets qui demandent de l’invention, des caractères, du dessin, de la noblesse, toutes qualités qui lui manquent». Sensible aux coloris, l’encyclopédiste ajoute: «Et puis vos couleurs sont sales et crues; vous êtes d’une fadeur de monotonie insupportable». L’impardonnable enfin: «Vous m’ennuyez, Monsieur Hallé; vous m’ennuyez». Une vierge à l’enfant, deux pastorales, un combat d’Hercule, rien ne trouve grâce aux yeux de Diderot: «Tout cela est misérable».

Oui, c’est cela, c’est bien cela que l’on cherchait à dire en regardant l’envoi de Grenoble; misérable. Mais comme il ne s’agit pas seulement de peinture, comme il s’agit de porter atteinte aux personnes, à toutes les personnes, et aux lois mêmes selon lesquelles ces personnes vivent dans ce pays, c’est un peu plus que misérable parce que c’est un peu plus qu’une image, cela empuantit l’œil. Cela pue.

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