ART | CRITIQUE

Queequeg

PAnne Kawala
@12 Jan 2008

Nom étrange du Sauvage de Moby Dick, Queequeg est la proposition d’un regard autre, interrogateur. C’est aussi le terrain où s’est déroulée, au Point Ephémère, une discussion qui s’est cristallisée sous la forme d’une installation: Queequeg. Regards, lieu, et proposition plastique, tel est Queequeg.

Le Point Ephémère est un lieu hybride (lieu d’expositions, de performances et de résidences d’artistes, bar, salle de concerts). Sans cela, Queequeg n’aurait pas pu exister.
La salle d’expositions, au centre, est un concret cube et un lieu de passage structuré par l’escalier placé en son centre. Un espace ouvert sur l’extérieur par de larges baies vitrées.
Ce sont ces valeurs plastiques et fonctionnelles qui ont permis d’accorder une discussion pendant une année entre les trois artistes. L’enjeu en était de trouver une réponse in situ articulant leurs trois singularités. Ils sont, là, trois Queequeg, trois altérités, avec trois pratiques bien distinctes, face à une quatrième, le lieu.

Il a été question de jeu durant les discussions, mais un autre, non prévu, apparaît dans l’exposition: trouver qui est l’auteur de quoi?
Les sérigraphies oranges, le Story Board, premiers dessins, première appropriation de l’espace, et aussi dernier geste, dans le lieu, de même que les dessins muraux ont été réalisés par Florentine Lamarche.
Alexandre Ovize, par son Squelette, a permis d’articuler le travail de dessin de Florentine Lamarche avec lequel il est conceptuellement proche, et celui de sculpture de Sarah Tritz, avec lequel la contiguïté s’établit plutôt par des rapports à la matière.
Sarah Tritz, quant à elle, est l’auteur des Mâts qui ponctuent verticalement, et par dissonance matérielle, l’espace.
Le seul élément qui a impliqué le geste de chacun des trois artistes est le Cartel, situé à l’entrée ou à la sortie de Queequeg: un panneau sur pieds ouvragés, proposant un dessin en découpes colorées.

Quelle organisation? Comment figurer les échanges et les dialogues?
L’espace se scinde deux fois en deux: dans sa largeur et dans sa longueur, chaque fois aux deux tiers. L’escalier est l’élément sur lequel s’appuie cette composition, car c’est lui qui structure l’espace. Il est renforcé par le Squelette, une sorte de cimaise désarticulée, très ajourée, rappelant la structure de l’escalier, mais connotant aussi les reflets des eaux du canal.

D’un côté, du bois, de l’autre, du béton sablé. D’un côté, un dessin mural à l’encre noire sur lequel ont été collées des sérigraphies noires sur papier orange. De l’autre, un socle gris sur lequel un des Mâts, longue sculpture noire, grêle, couronnée de liège ouvragé, trône. A partir de là, tout va être question de choix de la part du spectateur, choix intellectuel ou sensible.

Le choix, ici, est de s’approcher du dessin mural noir. L’espace est davantage ouvert, la circulation plus facile. Ce dessin repose, quand on s’en approche, sur une grille qui a permis sa construction. Il représente, là encore, l’escalier, mais d’un point de vue insolite, fragmenté et soutenu par cette grille. Les sérigraphies sur papier orange fluo éloignent ce dessin mural de la surface même du mur, quand bien même ils ont été placés également suivant cette grille. Un espace infra-mince, là, est joué, troublant la perception de la profondeur de l’espace d’exposition.

Comme d’autres sérigraphies sont présentes sur d’autres murs, l’œil s’y accroche, le regard suit, le corps se met en mouvement, s’approche. A côté, un dessin rouge, mural, sans grille pour le composer.
Sa couleur renvoie à un cadre rouge, suspendu. Qui permet de redescendre le long d’une sculpture haute, grêle, fine, recouverte de fourrure par laies. Le regard continue sa descente. A son pied, un kraft froissé. Qui pourrait renvoyer à la cimaise désarticulée. Donc à l’escalier qui est l’articulation majeure de cette installation.

Les objets s’interpellent les uns les autres. Soit par leurs formes, soit par leurs couleurs, soit par leurs matières. Sont créées des boucles de lectures, dans lesquelles il est vertigineux de se perdre. En ce sens, la discussion que supposaient le lieu et la rencontre de ces trois artistes prend corps, permettant l’appropriation de l’espace et de l’installation par le regard du spectateur. La ponctuation, par quelques matières et couleurs hétérogènes, permet de reprendre, momentanément, son souffle.

En aurait-il fallu davantage? En cela, on pourrait regretter un jeu trop timide vis-à-vis de l’extérieur ou des baies vitrées (même si ce point de vue a également été pris en compte dans la composition de l’installation, et s’il y en a des références, peut-être trop formelles, par le Story board comme par de petits paysages en terre posés sur des étagères et réalisés d’après des photographies des immeubles faisant face au Point Éphémère).

Queequeg ne se laisse pas saisir simplement ou rapidement car en face du spectateur se déploie la richesse de trois pensées et de trois pratiques qui ont eu besoin de temps pour s’accorder et aboutir à cette installation. La déconstruction de l’espace que les trois artistes ont opérée pour le comprendre, et y répondre, nécessite de la part du spectateur sa propre reformulation.

Florentine Lamarche, Sarah Tritz et Alexandre Ovize — Queequeg, 2006. Installation.

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