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Projet socialiste pour la culture : service minimum

PAndré Rouillé

«S’il fallait refaire l’Europe, je commencerais par la culture», aurait déclaré Jean Monnet, l’un des artisans de la Communauté européenne. L’aveu en forme de regret signifiait l’importance de la culture dans les sociétés occidentales contemporaines. Ce que les hommes politiques français ont répété à l’envi au cours des cinquante dernières années, mais en préférant les paroles aux actes alors même que s’accélérait la perte de l’autorité culturelle et artistique de la France dans le monde…
Ce qui a fait de la culture un point critique, un révélateur redoutable des orientations et des (in)actions politiques. Cela d’autant plus que la culture est à la fois une zone socialement sensible, l’emblème le plus fort de la grandeur (passée) de la France, et un secteur économiquement inadapté aux règles économiques actuelles.

Alors que, paradoxalement, la culture est le secteur le plus exposé aux bouleversements du monde et une activité devenue hautement stratégique dans les rapports de forces qui sont en train de se nouer à l’échelle internationale.

Au cours des prochaines semaines il sera donc intéressant d’examiner du point de vue de la culture les programmes des différents candidats à l’élection présidentielle de 2007. Non pour prendre parti, non pour se prononcer en faveur ou contre tel ou tel, mais pour mettre les propositions à l’épreuve de la culture, et en tirer des enseignements autant politiques que culturels.

Le Parti socialiste a été, en juin dernier, l’un des premiers, dans son projet «Réussir ensemble le changement» à publier ses orientations dans un court chapitre intitulé «La culture émancipatrice». Même si la formulation renouvelle étrangement le mythe de l’«École libératrice», même si les termes sont usés par trop d’années de slogans démentis par les faits, même si on sent la tentative de conjurer une incapacité à stimuler de réelles dynamiques, on se force à croire que l’ambition est louable. Et cela en dépit de la platitude des propositions (voir ci-après).

L’inconsistance de ce projet pour la culture surprend d’autant plus que le Parti socialiste résonne encore des accents lyriques et des innovations programmatiques et institutionnelles qui ont fait de Jack Lang l’un des plus grands ministres de la Culture de la Ve République. Un ministre (jadis) porteur d’une vision suffisamment ample de la culture pour faire oublier que ses budgets n’ont pas toujours été à la hauteur ses enthousiasmes, ni même de ses engagements — l’emblématique seuil du 1% du budget de l’État consacré à la culture, maintes fois promis, est toujours resté à l’état de rêve.

En lisant aujourd’hui le Projet socialiste, on peine à imaginer que le PS a été le porteur et le défenseur acharné et enflammé de la loi sur le prix unique du livre qui a permis la survie d’un réseau de librairies, des Frac qui ont favorisé un essor considérable de l’art contemporain dans les régions de France, des colonnes de Buren dans la cour du Palais-Royal autant que de la Pyramide du Louvre, etc.
Rien ne reste du fait que le Parti socialiste a, avec Jack Lang, favorisé une véritable émancipation de la culture au-delà de ses sillons coutumiers, accéléré l’effacement des frontières séculaires entre «culture» et «non culture», art et non-art, créateurs et artisans, et autorisé une entrée dans les territoires de l’art d’activités comme la mode, le design, le cirque, etc. Toutes ces dynamiques éminemment politiques ont été imposés au terme d’âpres luttes partisanes et d’oppositions violentes.

Alors que les joutes politiques s’annoncent sévères dans les prochains mois ; alors que les élites politiques ont à faire face à des mouvements croissants de défiance en raison de leur déconnexion d’avec les mouvements du monde et de la vie réelle; alors que les citoyens auraient besoin d’un projet original, stimulant, et surtout adapté, pour croire à des perspectives de changement, le document socialiste est, en matière de culture au moins, tout sauf un projet, à peine un programme : une pauvre petite liste de mesurettes sans souffle, sans perspectives, sans ambition. Bien trop timide et étriqué pour esquisser la moindre dynamique «émancipatrice».

Un signe éloquent: la première proposition associe la création avec le numérique et internet. Cela aurait tout lieu de nous satisfaire, à paris-art.com. Mais, autant on a dit (et on le redira) que soutenir le numérique et l’internet culturels est stratégiquement nécessaire ; autant il est réducteur, opportuniste et même démagogique d’envisager prioritairement la création dans ses liens avec le numérique et internet : «Nous veillerons à ce que le financement de la création soit préservé et adapté au numérique et à l’internet». Dès le premier engagement, la direction est donnée.

On aurait aimé trouver dans ce projet quelques points sur les difficultés à créer et exposer quand on est artiste, à publier lorsque l’on écrit, à diffuser ses livres et ses œuvres à l’étranger, à trouver des cimaises et des ateliers à Paris, à nouer des échanges internationaux…
Comment va-t-on, dans les années prochaines, se faire voir, lire, entendre, diffuser dans le monde lorsque l’on créera en France ? Comment va-t-on pouvoir travailler avec les images, les mots, les concepts, les sons, les gestes, numériquement ou non.
Quelle est la vision du Parti socialiste sur les méthodes, les moyens et les territoires de la création dans la prochaine décennie ? Mystère.

S’agissant des «moyens budgétaires», l’ambition est explicitement limitée à un retour à l’état mythique «des plus hauts niveaux connus sous la gauche depuis 1981». Ces budgets, qui n’ont certes pas été négligeables, sont pourtant hier déjà restés notoirement insuffisants et toujours inférieurs aux proclamations. Demain, ils seraient plus encore inadaptés en regard de cette constatation juste selon laquelle la culture sera «un secteur où se dérouleront les grandes batailles politiques et économiques à venir».

Comment répond-on à cette situation annoncée ? Comment donne-t-on à la culture — c’est-à-dire aux espaces bientôt dominants de «l’immatériel, l’innovation et la création» — les moyens d’affronter dans les meilleures conditions les temps nouveaux ? Budgétairement évidemment, institutionnellement assurément, techniquement naturellement. Mais tout cela ne serait rien si les conditions n’étaient pas rassemblées pour donner envie.

Nous avons certes besoin de budgets, de «médiathèques sur l’ensemble du territoire, en priorité dans les zones les moins favorisées», d’une «véritable éducation à l’image», d’une ouverture pleine et entière à la «diversité des origines au sein de la société française», etc.
Mais tout cela tournera à vide en l’absence d’un souffle assez fort pour bousculer les archaï;smes de pensées, les frilosités, et les petits et grands jeux politiques par lesquels les élites et les élus agissent (trop souvent) à rebours de nos vies, de nos énergies et même des intérêts directs de la nation.

Le souffle de la vie et de la création, une vision d’avenir, des perspectives audacieuses et pertinentes : c’est précisément tout cela ce qui fait défaut à ce projet. En guise de «changement», on ne nous présente qu’une sage gestion à la petite semaine.
Il n’est pas certain que les autres candidats proposeront mieux, ou même qu’ils feront la moindre proposition sur la culture… Ce n’est pas une raison pour que l’on se satisfasse de si peu.

André Rouillé.

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Claude Lévêque, vue de l’exposition «Le Grand sommeil», MAC/VAL, Vitry-sur-Seine, 19 mai-10 sept. 2006. Courtesy Mac/Val. ©Photo Marc Domage/ MAC/VAL et Adagp, Paris 2006.

Lire

Réussir ensemble le changement. Le projet socialiste pour la France
VII La culture émancipatrice

Comme l’éducation et la santé, la culture joue un rôle central dans notre société. Elle est un outil privilégié d’émancipation et de rassemblement.

-> Nous veillerons à ce que le financement de la création soit préservé et adapté au numérique et à l’internet. Les auteurs et les créateurs doivent être rémunérés pour leur travail. De nouvelles sources de financement seront recherchées en mettant à contribution les principaux bénéficiaires de la création (Fournisseurs d’accès internet, opérateurs de téléphonie, fabricants de logiciels et de matériels).

-> Nous veillerons au renforcement des moyens budgétaires afin qu’ils retrouvent les plus hauts niveaux connus sous la gauche depuis 1981.

-> Nous favoriserons et développerons l’emploi culturel, car c’est en investissant dans l’immatériel, l’innovation et la création que nous créerons les emplois de demain dans un secteur où se dérouleront les grandes batailles politiques et économiques à venir.

-> Nous veillerons au respect de la loi sur les intermittents du spectacle et établirons une loi programme sur le spectacle vivant.

-> Nous favoriserons l’accès de tous à la culture, notamment par les réseaux numériques, par une présence de médiathèques sur l’ensemble du territoire, en priorité dans les zones les moins favorisées.

-> La multiplication des chaînes de télévision, l’émergence d’une société de l’image ont un impact grandissant sur les citoyens, particulièrement les plus jeunes. Il faut donc construire une véritable éducation à l’image, dispensée dans le cadre scolaire, permettant de construire un esprit critique face à l’image.

-> Nous assurerons un soutien financier aux projets culturels émergents dans les environnements urbains les moins favorisés (microcrédits) ainsi qu’aux lieux de proximité. La capacité d’accueillir des cultures qui reflètent la diversité des origines au sein de la société française, est un enjeu majeur de cohésion sociale.

-> Nous reconnaîtrons les identités culturelles régionales, comme prévu par la Charte du Conseil de l’Europe sur les langues régionales. Nous proposerons une politique culturelle européenne qui puisse bénéficier, sur cinq ans, d’un pourcentage significatif du budget de l’Union européenne.

English translation : Rose Marie Barrientos

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