DESIGN | CRITIQUE

Please Do Not Sit

PMarine Drouin
@18 Juin 2008

Avec Please Do Not Sit, la Tools présente les sièges voluptueux du créateur Frank Willems parmi un ensemble plus vaste d’assises comme autant de stations en des univers différents.

Si l’exiguïté de la galerie nuit à première vue à l’exposition de tant de modèles, leur multiplicité n’en reste pas moins le gage d’une diversité aussi rassurante qu’hybride. Chacune de ces pièces, dont le dénominateur commun est l’invitation plus ou moins cordiale à s’asseoir, résiste à toute mise en scène, à toute idée préconçue quant à cette posture. Un air de famille les rassemble de fait : celui d’assumer une nature ambivalente entre la pièce de créateur et celle du designer, asservie à l’usage.

« Please Do Not Sit », parce que ces assises n’en sont pas seulement. Elles endossent tant le rôle de prothèses, extensions liées aux gestes de l’homme, qu’elles en viennent à incarner tel personnage ou tel monstre. Monstres au sens propre du terme, elles se « montrent » tour à tour digne, austère, nonchalante, rêveuse, animale ou maladive.

Quand les Madam Rubens de Frank Willems évoquent avec humour la trivialité du lâcher prise (le designer pratique le geste irrévérencieux d’attacher à des prie-dieu des matelas pliés en quatre, mimant la chair capitonnée des modèles du peintre flamand), la Lector Chair de Frédéric Ruyant nous rappelle la dignité du trône, qui confère à l’usager l’autorité à condition qu’il se plie littéralement à la rigidité de son assise à angles droits. Il est des sièges qui savent redresser la tendance du corps à s’affaisser : l’austérité de la Mesh Chair de Chris Kabel, malgré l’élégante laque apposée sur son treillage, nous laisse imaginer l’effet escompté de ce volume grillagé sur notre peau si nos muscles fessiers et dorsaux viennent à se relâcher. Face à elle, à l’inverse, les trois pièces de Niels Van Eijk sont recouvertes de pelages animaux, impliquant la douceur, mais aussi l’étrangeté d’une « autre » peau à frôler…

De fait, puisqu’elles supposent l’accueil du corps humain de la façon la plus ergonomique qui soit, certaines de ces assises travaillent le vivant et les tensions qu’implique sa précarité. Les Master et Fracture Chair de Ineke Hans appliquent des bandages issus du milieu hospitalier sur des modèles rappelant l’univers bureaucratique. L’utilisation de ce matériau pauvre lié à la blessure vient solidifier à la hâte l’assemblage de blocs de polystyrène, improvisant l’allure maîtresse de ces fauteuils sans masquer pour autant leur fragilité.

Plus encore explicite, la Vitra virus de Pieke Bergmans, qui ironise sur les pièces de maître en exploitant une chaise éditée par Vitra, dit la possibilité d’une invasion virale sur l’étendue de notre mobilier pris comme un ensemble immuable. C’est par la radicalité d’un geste performatif, que la designer vient à louer l’effet parasitaire d’un matériau sur un autre. Une pièce de verre orange, soufflé en forme d’appendice, est apposée encore chaude sur une chaise en bois, prenant ainsi le pli de son assise en y laissant une brûlure irrémédiable, et la privant de son usage. A défaut d’être utilisée, la Vitra virus est habitée. En septembre, la ToolsGalerie dans son entier se risquera à devenir l’hôte, au sens biologique du terme, d’un choix de pièces de Pieke Bergmans pour une exposition monographique.

Mis à part cet acte expérimental impliquant la rencontre primitive de deux éléments, l’un manufacturé et l’autre en cours d’alchimie, notons la facture souveraine des assises présentées. D’un seul tenant, elles nous invitent au coeur d’environnements autonomes, et ce par contraste entre chacune d’elles, singulière. Au mirage d’un banc public embué de chaleur que nous laisse halluciner le Clay Furniture de Maarten Baas aux contours indécis, car modelés à la main, répond la définition sèche et aiguë du modèle Useless de Kossigan Aguessy, chaise comme faite de papier plié en forme de totem modélisé, et dont la terminaison s’élève en paratonnerre.

Les créateurs exposés à la Tools offrent à l’imaginaire la possibilité de mondes sans prise avec le réel sinon l’usage commun. Ces univers sont accolés à une structure identifiable, comme le ferait le processus décoratif, mais engagent bien une réflexion sur le propre du design. Il n’est pas innocent que nombre des sièges présentés voient leur enveloppe en déterminer le volume et non le recouvrir. Ainsi le revêtement de la Cow Chair de Niels van Eijk, véritable peau de vache rigidifiée et cousue afin d’en faire une chaise ; ainsi la Lector Chair citée plus haut, qui ne définit pas seulement une assise, mais trace aussi le territoire d’un sol et du mur dont elle se détache… soit le début d’un habitacle.

— Frank Willems, Stoned Rubens, 2008. Tabouret. Bois, mousse polyether, peinture polyuréthane. Dimensions variables. Edition limitée ToolsGalerie en 12 exemplaires.
— Studio Minale-Maeda,
chaise Chroma Key, 2008. Bois recouvert de tissu. 46 x 50 x 80 cm.
— Pieke Bergmans, chaise-sculpture Vitra virus, 2007. Chaise de Jasper Morrison, « virus » de cristal. 47 x 40 x 85 cm. Edition Vitra.
— Maarten Baas
, banc Clay furniture, 2006. Mobilier en résine modelée à la main. Couleurs : rouge, orange, jaune, vert, bleu, marron, noir ou blanc. 100 x 40 x 80 cm. 
— Ineke Hans, chaise Fracture Chair, 2006. Polystyrène, bandage médical et pigments. 45 x 48 x h 86 cm. Edition limitée ToolsGalerie en 12 exemplaires








 

AUTRES EVENEMENTS DESIGN