PHOTO | CRITIQUE

Planète Parr

PNicolas Villodre
@20 Juil 2009

Parallèlement à son activité de photographe, Martin Parr collectionne depuis longtemps quantité d’objets de pacotille, des cartes postales, des tirages de collègues exerçant le métier de photo-reporter ainsi que des ouvrages consacrés à l’histoire de la photo. Ce sont ces à côtés du photographe britannique qu’a voulu montrer le Jeu de Paume.

La célébrité de Martin Parr est telle qu’on n’a plus besoin de le présenter, voire de montrer son travail. C’est ce qu’ont dû penser les programmateurs du Jeu de Paume, galerie théoriquement consacrée à la photo, où l’on a décidé d’accrocher un minimum de clichés du plus fameux photographe de l’agence Magnum, piochés dans ses séries Luxury, Small World et The Guardian Cities Project.
Ces grands tirages couleur n’occupent qu’une partie du premier étage. Par ailleurs, si l’on en croit ses déclarations, Martin Parr est satisfait de pouvoir faire prendre l’air à ces trophées glanés lors de ses pérégrinations, accumulés au cours des ans. À commencer par les derniers en date: ceux qui concernent Obama.

Les espaces du Jeu de Paume sont saturés d’une brocante d’objets encore plus kitsch que ceux de Pierre et Gilles —et ce n’est pas peu dire!—, d’œuvres réalisées par d’autres, sans qu’on ait pour autant l’impression que le photographe ait voulu faire dans le ready made, qu’il ait eu la moindre démarche arty ou une quelconque arrière-pensée conceptuelle en participant à ce nouveau genre d’exposition, certes amusante mais aussi un peu complaisante.

Pour lui être agréable, le musée s’est mis en quatre et transformé en Puces du design, en Cinglés du cinéma, en un composite des foires de Lille, de celle aux jambons de Chatou ou de celle à la photo de Bièvres. Tout se passe comme si Marcel Campion, après avoir annexé la place de la Concorde avec sa grande roue puis une partie de la rue de Rivoli (et, récemment, un bistrot manouche des puces de Saint-Ouen), avait investi ce nouvel espace où manquent cependant les stands de frites, de chipos et de merguez grillées.

La vidéo tournée pour la manifestation ne donne pas une image positive du photographe. Le sourire du quinquagénaire y apparaît crispé, faux, mécanique. C’est que l’individu, sans être vraiment un paparazzo, cherche et parvient, depuis des années, à s’incruster, avec une politesse un peu forcée et une feinte réelle, dans des milieux qui ne sont a priori pas les siens. Un peu comme ces photographes de mariage collants qui jouent les pique-assiettes, se glissent à la table des noceurs et qu’on s’attend à trouver jusque dans la chambre nuptiale.

Son regard sur le monde est assez trouble. Ce n’est peut-être qu’une impression, mais on ne sent chez lui ni empathie réelle pour ses modèles ni vraie critique sociale, au sens où l’entendent, par exemple, les documentaristes britanniques, photographes et cinéastes, qui ont fait école depuis les années trente. On a affaire plutôt à un ricanement de type guignolesque, à une aigreur. À du ressentiment.

Reste que ses compositions, à partir des années 90, sont plus intéressantes les unes que les autres et ressemblent à des mises en scène de notre Comédie humaine. Elles relèvent à ce titre du travail formel, de l’esthétique, bien sûr, mais également de la sociologie.

Avec sa série récente très convaincante Luxury, nous sommes loin des petits métiers et des boutiquiers d’Atget, loin des typographies fonctionnelles de Sanders: Martin Parr y analyse l’oisiveté à l’état pur, le loisir en marche, le désœuvrement au travail. Le futile, le badin et le vain.
Il passe en revue pique-niques chics et autres soirées de gala. Il détaille les signes de l’apparence, du bling-bling, du décomplexé de notre temps, ceux des nouveaux riches se la jouant aristos, des femmes d’émirs aux visages refaits et autres vieilles peaux. On les y rencontre aux champs de courses, aux cocktails et aux salons. Ces personnages ont remplacé les plagistes grégaires et prolos.

Non seulement Martin Parr a la science infuse du cadre le plus juste, autrement dit de l’ici et maintenant, mais il sent, illico presto, de manière immédiate et très précise, ce qui cloche, ce qui jure à l’intérieur même de ce champ de vision. Ce qui ne saute pas aux yeux du commun des mortels, qui échoppe mais qui échappe aux protagonistes, trop occupés à leur inactivité.

Et il ne s’agit aucunement d’anecdotique, de pittoresque, de pitrerie, d’insolence ou d’insolite mais de qualités purement visuelles ou plastiques. D’une teinte qui vient en heurter d’autres, d’un reflet ou d’une luisance perturbants, d’une expression fugace. D’un moment de grâce ou de disgrâce.

Du détail qui tue et que certains appellent punctum.

Martin Parr
— série Luxury, 2007. Photographies.
— série Small World, 1996. Photographies.
— Limbo! Limbo!, Carte postale.

Paul Seawright
— Friday 25th May 1973, 1988. Photographie.

Chris Killip
— Father & son, Westend of Newcastle, Tyneside, 1980.

Mark Neville
— Betty at the Port Glasgow Town Hall Xmas Party, 2005. Photographie.

Asako Narahashi
— Jonanjima, 2002. Photographie.

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