ART | CRITIQUE

Pétaflops

PEmmanuel Posnic
@10 Juin 2008

Les œuvres d’Eric Baudart bruissent d’une multitude de sensations. Des photographies aux installations, le réel surgit à coups de trompe-l’œil ou de clin d’œil, au gré des conversations qui s’échafaudent à distance entre les œuvres. Une exposition bruyante et bavarde? Oui, mais avec subtilité.

C’est par le silence d’une pièce obscure que le spectateur est cueilli. A l’intérieur, une vidéo diffuse le passage d’une méduse dans les fonds marins (Seek out). Un passage éclair, intermittent, une majesté légère filant avec sa traîne dans un même mouvement souple et fuyant. Elle apparaît puis disparaît. Le temps d’imprimer la rétine, elle s’évanouit dans le vide de la salle pour qu’on la redemande.

Cette séquence, ce ballet en deux temps donne le ton de l’exposition et l’articulation du travail de d’Éric Baudart. Il s’agit chez lui de défier la réalité, de la faire entrer par accident dans l’espace hyper-codifié de la galerie d’art.
Mais il s’agit aussi de structurer cette pseudo-réalité en la convertissant aux formules binaires. Apparition-disparition, transparence-opacité de Seek out.

Et ailleurs, c’est la mollesse et l’inertie de la mousse qui doit supporter le poids des boules de pétanque. C’est la fragilité de la résine qui doit se confronter à son «statut» de sofa. Ce sont les plis d’une feuille A4 chiffonnée qui se conforment à la planéité d’une radiographie. Les contradictions qu’aménagent l’artiste enrichissent les possibilités formelles de ces matériaux ainsi que leur pouvoir d’évocation.

Sauf qu’au-delà, échappées de leurs tumultes intérieurs, les œuvres se rencontrent et se découvrent des convergences à l’endroit précis de leurs divergences. Dès lors, c’est tout un amoncellement de lignes, de connexions par les formes, les matières, les reflets, les transparences, les masses qui densifient la lecture de l’ensemble, tout un millefeuille de correspondances entre les œuvres qui se met en place, architecturé autour de dialogues inédits, de territoires à défendre ou à occuper.

Et dans ce maelström se joue la mise en scène de la réalité. Par la photographie, lorsque celle-ci s’adjuge littéralement l’objet du quotidien et lui fait endosser la responsabilité d’ « être » une œuvre d’art. Baudart pousse l’ironie de la sacralisation forcée jusqu’à donner à l’objet une taille monumentale (ce fut ailleurs la tranche de steak ou le boîtier de cd, c’est ici la feuille A4 froissée et la Colle N&B). Par la sculpture ou la vidéo également, lorsque celles-ci simulent le réel (le canapé en résine de Sofa, la table de billard de Courbure V/blanc ou l’astre solaire de Black Hole reflété tant bien que mal dans, ironie du sort, un simple rond dans l’eau)

Le dernier mot revient peut-être à cette photographie inversée, grand panneau cabossé dont on ne perçoit que l’envers, l’envers du décor c’est-à-dire le cadre, le châssis, ce qui soutient l’artifice (Diasec by car).
Placé sur le mur du fond, en vis-à-vis de l’exposition, le panneau en aluminium recueille et reflète toutes ces réalités travesties: ne serait-on pas là devant la grotte de Platon, sur le seuil de la définition de l’art ?

Eric Baudart
— A4 froissée, 2007. Photographie couleur contrecollée sur aluminium sous verre encadrée. 120 x 165 cm.
— Avion 1, 2008. Plastique, métal, peinture. 13 x 9 x 2 cm
— Sofa, 2008. Fibre de verre, résine. 218 x 101 x 71 cm
— Courbure V/blanc, 2008. Mousse, boule de pétanque. 199 x 153 x 97 cm
— Courbure J/acier, 2008. Mousse, boule de pétanque. 204 x 163 x 86 cm
— Colle N&B, 2008. Photographie couleur sous diasec contrecollée sur aluminium, châssis métal. 300 x 180 cm
— Black Hole, 2008. Vidéo. 1 min
— Seek out, 2008. Vidéo. 4 min
— Diasec by car, 2008. Photographie sous diasec contrecollée sur aluminium, chassis aluminium. 400 x 170  x 28 cm

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