ART | EXPO

Persona

27 Juin - 31 Oct 2014
Vernissage le 27 Juin 2014

L’autoportrait est un genre classique qui, depuis le mythe de Narcisse jusqu’à Nicolas Poussin, a donné des œuvres célèbres car souvent très évocatrices. C’est précisément ce thème de l’autoportrait et de ses multiples variations (mise en scène de soi, jeux de rôles, personnages voire pseudonymes) dans la collection du Frac qu’explore l’exposition.

Boris Achour, Pilar Albarracin, Joël Bartoloméo, Vanessa Beecroft, Stéphane Bérard, Christian Boltanski, Édouard Boyer, Sophie Calle, Maurizio Cattelan, Claude Closky, François Curlet, Ernest T., Daniel Firman, Maïder Fortuné, General Idea, Gilbert & George, Richard Hamilton, Douglas Huebler, Michel Journiac, Urs Lüthi, Joachim Mogarra, Steven Pippin, Ugo Rondinone, Allen Ruppersberg, Dorothée Selz, Cindy Sherman, Vibeke Tandberg, Taroop & Glabel, Patrick Van Caeckenbergh, Vedovamazzei, William Wegman
Persona

Dans l’exposition «Le Grand Tout» qui marqua l’an dernier les trente ans du Frac Limousin, plusieurs autoportraits photographiques restent en mémoire. C’est précisément ce thème de l’autoportrait et de ses variations, mise en scène de soi, jeux de rôles, personnages voire pseudonymes dans la collection du Frac Limousin qu’explore l’exposition «Persona». Cette enquête a été confiée à Natacha Pugnet, docteur en sciences de l’art et auteur de nombreux textes sur ces questions.

Pour analyser en profondeur la collection du Frac Limousin, elle s’est appuyée sur la définition polysémique du mot «Persona». Tiré du théâtre grec et romain, ce terme désigne à la fois le masque de l’acteur et, par extension, le rôle, le caractère, le personnage. Il donnera plus tard le mot personnalité. Persona est également un célèbre film d’Ingmar Bergman, datant de 1966, qui traite de l’identité, du double et des masques sociaux.
Le cheminement de pensée de la commissaire s’est organisé selon trois axes de recherche — l’autoportrait, la pseudo-autobiographie et le nom propre associé à la signature détournée, avec les porosités que ces regroupements supposent — qui lui permettent de sonder la présence de l’artiste en tant qu’auteur, représentation de soi (jusqu’au pseudonyme ou à la marque) et incarnation de personnages.

L’autoportrait est un genre classique qui, depuis le mythe de Narcisse jusqu’à Nicolas Poussin, a donné des œuvres célèbres car souvent très évocatrices. L’auto-figuration permet également de recenser des pratiques répétitives «à la Rembrandt»: Urs Lüthi s’est régulièrement photographié vieillissant, le corps de Patrick Van Caeckenberg apparaît souvent dans ses œuvres comme matière première, Ugo Rondinone s’utilise comme modèle, Gilbert & George comme témoins.

Allen Ruppersberg, jouant sur les paradoxes, multiplie la découpe de son profil et l’environne d’une série de 32 têtes de mannequins en béton moulé. Chez Douglas Huebler, la pseudo-ressemblance et le hasard sont éprouvés par la photographie et le discours qui la légende. Vibeke Tandberg s’auto-représente par morphing sous les traits de ses amies. Maurizio Cattelan fait réaliser par la police cinquante portraits robots d’après description par des amis ou relations. Ces autoportraits robots seront ensuite transférés sur celluloïd. Entre 2002 et 2010, à partir d’une photographie de lui-même âgé de trois ans, Edouard Boyer anticipe infographiquement son vieillissement, à rebours des diktats de l’apparence. En 2010, toujours à partir de la même image envoyée par internet en Chine, il fait réaliser à la main une série de 44 peintures. Elles sont toutes identiques et cependant légèrement différentes. La figure de l’artiste devient une fiction, un leurre.

L’autofiction apparue dans les années 1970, notamment en France dans les œuvres de Christian Boltanski, de Dorothée Selz et de Sophie Calle, fut souvent englobée sous le terme de «mythologies quotidiennes». Chez l’américain William Wegman, le passage de la mise en scène clownesque de lui-même à celle de son chien «Man Ray» le rendit célèbre. Claude Closky, Joachim Mogarra, Joël Bartoloméo dont les œuvres émergèrent dans les années 1990 appartiennent à cette même filiation qui pousse l’exploration de la vie quotidienne jusqu’à l’absurde. La pseudo-autobiographie ou biographie comme fiction, inventée de toutes pièces, a de beaux jours devant elle sur les réseaux sociaux.

Pour ce qui est du masque et de ses avatars, grotesque, autocaricature, déguisement, etc., la catégorie apparaît à la fois très ancienne et extrêmement ouverte.
Le faux visage qui coiffe la sculpture en forme de bouquet d’objets de Daniel Firman évoque les effets spéciaux du cinéma. Cindy Sherman incarne à chaque prise de vue un nouveau personnage extrait de l’univers du cinéma, de la peinture d’histoire, de l’art moderne, de la publicité, des clichés touristiques, etc.

Entre pseudonyme et signature détournée, le jeu sur le nom propre est un contrepoint au thème de l’exposition. Les trois plaques émaillées publicitaires de Richard Hamilton pour une exposition dans un bar à Cadaquès en 1975 restent un sommet du genre, bientôt prolongées par le cendrier et la carafe d’eau en 1978 et 1979.
Les produits dérivés du collectif canadien General Idea caricaturent le devenir commercial de l’art et la culture du divertissement. Leur tableau Copyright (1987) n’est qu’une toile de jean customisée par un logotype, signe de protection du droit d’auteur.
Les «peintures nulles» d’Ernest T. sont des simulacres anti-expressifs qui rejouent, anonymement et à l’infini, la peinture puriste et radicale. Variations mathématiques d’un pseudonyme devenu logotype, ces tableaux montrent, s’il le fallait, que l’objet d’art est souvent seulement apprécié pour la célébrité de son auteur. C’est également un jeu troublant qui s’exerce dans cette plaque émaillée publicitaire qui vante le nom d’un artiste, Curlet. Son design graphique reprend celui d’une ligne de supermarchés belges.

Concluant l’essai qui accompagne cette exposition, Natacha Pugnet précise: «[que] Réinventer sa vie, modeler sa personnalité ou plus simplement manipuler son image évitent à l’artiste de se laisser réduire aux diverses projections dont il est l’objet, aujourd’hui encore. Perçu comme marginal, génie, opportuniste ou bien même comme escroc, sa condition se trouve ramenée à quelques clichés fantasmatiques dont il lui arrive, en retour, de jouer.»

D’après un texte de Yannick Miloux

Commissariat
Natacha Pugnet

AUTRES EVENEMENTS ART