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Paysages conjugués

05 Sep - 21 Déc 2015
Vernissage le 05 Sep 2015

Vides de personnages et empreintes d’un silencieux mystère, les photographies de Pierre de Fenoÿl évoquent parfois les peintres flamands ou italiens, autant que les maîtres de la photographie des premiers temps. A travers son objectif, les paysages deviennent la présence contractée du temps et l’énigme d’une attente sans retour.

Pierre de Fenoÿl
Paysages conjugués

En 2012, pour la première exposition de Pierre de Fenoÿl (redécouverte de l’œuvre par la galerie) intitulée «Le miroir traversé», nous avions décidé de souligner ce qui fait «l’écriture» de ce photographe: sa puissance d’abstraction, le silence du temps installé dans chaque photographie. Nous n’avions respecté ni chronologie, ni thématique mais choisi d’associer librement ses photographies pour que la qualité du trait de son regard apparaisse comme une évidence.

Pour cette deuxième monographie en 2015, titrée «Paysages conjugués» (présentée en parallèle de la rétrospective conçue par Le Jeu de Paume au Château de Tours jusqu’au 31 octobre 2015), nous concentrons notre choix sur deux grandes périodes de l’œuvre qui révèlent le «vocabulaire» plastique de Pierre de Fenoÿl: l’Égypte et la commande passée par la Datar sur le paysage français.

«Regarder les photographies de paysages de Pierre de Fenoÿl déstabilise et envoûte. Et étrangement, un sentiment de reconnaissance s’impose. C’est là un des tours de force du photographe. Par la précision répétée et sans cesse renouvelée de ses cadrages, de ses points de vue, sa maîtrise de la lumière, son utilisation des nuages résistant à l’oubli de l’air comme au poudroiement de la granularité argentique qui distribue le crescendo des contrastes, il organise une frontalité avec laquelle il signe le paysage. Nous ne reconnaissons pas les lieux mais bien le trait du regard qui fissure le réel, cette culture savante de l’espace, cette dialectique du concret et de l’abstrait, cette intelligence des plans: une agilité intellectuelle acérée mise tout sur l’acte photographique pour interrompre la violence de la beauté.

Pierre de Fenoÿl a écrit à plusieurs reprises que l’on ne prend pas une photographie mais qu’on la reçoit. Certes, mais il reste la manière et plus précisément surtout la forme que l’on donne à cette réception. Rares sont ceux qui mettent la lumière au diapason de leur vision, comme ici: la lumière s’écoule, met en pièces, organise des blocs compacts et impénétrables, l’abstraction jaillit sous le rythme de ses flaques d’ombre, les éléments flottent. L’imbrication de l’espace, de la surface et des profondeurs construit la magie d’une vision qui ne se contente pas du simple reflet du réel mais, par une volte-face, en analyse l’apparence. Le photographe installe sa grammaire réceptive, par touches successives il cerne sa perception.

L’œuvre de Pierre de Fenoÿl est discrète, elle est intime, elle ne cherche pas se faire remarquer, je dirais qu’elle se dresse contre l’opacité du visible. Le noir et blanc, matière de la réalité dont il est ici question, est la lumière entre son monde et nous, le lieu de son écriture. “Il n’y a de lieu que le lieu”, dit Mallarmé. Elle mise sur la mélancolie, sur l’infinie solitude de la sensation, elle nous propose un face-à-face, elle devient complice du complexe. La concentration de Pierre pour faire la peau au sujet, pour enrouler le temps qui se déroule, est expressionniste, il presse la forme pour en faire jaillir l’essence, les choix faits montrent ce qui l’agite, ses noirs et ses ombres démentent tout romantisme, ses nuages sont menaçants, ses premiers plans gênent et arrêtent le regard tout en organisant l’espace en rideaux de scène. C’est une œuvre difficile qui, sous une lecture rapide et absente, peut paraître banale. Il n’en est rien. Elle n’est pas le résultat d’une cueillette d’images mais l’épuisement du sujet pour en interroger, au-delà des apparences, la métaphysique.

Elle échappe à la simplification parce que les paysages photographiés par Pierre de Fenoÿl, une fois reçus par lui, ne sont plus les mêmes, impossible à quiconque de les revoir à nouveau, ils ont été foudroyés et ne se trouvent plus que sur le tirage papier. Ses photographies deviennent la présence contractée du temps et l’énigme d’une attente sans retour. (Jacques Damez, Pierre de Fenoÿl, Une géographie imaginaire, 2015).

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