DANSE | SPECTACLE

Passo

20 Mar - 24 Mar 2012

Avec une écriture très fine qui semble s’effacer derrière la fraîcheur de la spontanéité, Passo flirte avec la grâce enfantine des premiers pas, cultive l’ironie légère du mouvement qui échappe au pathos expressif, et délivre toutes les nuances subtiles et profondes des jeux du corps qui mènent malicieusement sur la double voie de la quête de soi et de l’appartenance sociale.

Ambra Senatore
Passo

Qui n’a jamais dessiné une marelle au sol avant d’y sauter à cloche-pied, qui n’a jamais fait «1,2,3, soleil» dans une cour de récréation, a peu de chances de goûter les saveurs espiègles de Passo, d’Ambra Senatore. C’est dire qu’il n’est nul besoin d’être grandement initié pour apprécier la danse contemporaine. C’est dire encore, le plus simplement du monde, que la danse peut être vue comme un jeu.

Voilà en effet, selon quelques-unes des caractéristiques que donnait Roger Caillois des jeux, une activité improductive, réglée et fictive, qui met le corps en jeu dans un processus libre et incertain bien que circonscrit dans les limites d’espace et de temps 1.
Que l’on se souvienne ici de Fase ou de Rosas danst Rosas d’Anne Teresa De Keersmaeker, d’Ulysse de Jean-Claude Gallotta, de Chiquenaude de Daniel Larrieu, des premières pièces de Dominique Bagouet et de tant d’autres, à l’orée des années quatre-vingt qui virent émerger en Europe la danse contemporaine 2. Ou encore, avant cela et outre Atlantique, des Accumulation Pieces de Trisha Brown, sans même de parler de Merce Cunningham dont toute l’oeuvre a été avivée par un esprit profondément ludique. La danse est (aussi) un art du jeu.

D’Italie, où la création contemporaine a été si malmenée ces dernières années, Ambra Senatore vient le rappeler avec une revigorante fraîcheur. Avec une écriture très fine, parfois «subtilement caricaturale», qui semble s’effacer derrière une apparence de spontanéité, Passo flirte en effet avec la grâce enfantine des premiers pas, cultive l’ironie légère du mouvement qui échappe au pathos expressif, et délivre toutes les nuances subtiles et profondes des jeux du corps qui mènent malicieusement sur la double voie de la quête de soi et de l’appartenance sociale. Passo est le développement d’un court duo primé en 2009 par un jury international à la Fondazione Musica per Roma.
La danse est certes faite de pas, mais le titre est aussi à entendre comme un pas que se décide à franchir Ambra Senatore, prête à pleinement s’assumer comme chorégraphe après une série de solos. Le désir de travailler sur le double et la répétition, jusqu’à «confondre les présences pour ne plus savoir qui est qui», la fragmentation du mouvement et «le déplacement continuel du sens qui amène la surprise», fomentent ici la dynamique d’une partition visuelle sans cesse relancée au sein d’un cadre vivifié par tout un jeu d’entrées et de sorties. Le leitmotiv de certains gestes et de postures fait ritournelle pour le regard, qui se surprend à chercher les indices d’une règle du jeu. Celle-ci est infusée dans l’apparence naturelle d’une écriture qui semble se surprendre elle-même, et le spectateur avec. Avant de tracer son chemin dans la danse, Ambra Senatore confie qu’elle voulait être cinéaste. Elle a indéniablement le sens de l’image, avec une certaine imprévisibilité du corps comme seul sujet, mais entre fondus-enchaînés et cuts, les images-corps 3 de Passo existent avant tout par le rythme qui les anime et le montage qui leur donne consistance. On ne s’étonnera guère qu’Ambra Senatore se dise «attirée par la construction cinématographique sur scène».
Jean-Marc Adolphe

1 Roger Caillois, Les Jeux et les hommes, Gallimard, 1957.
2 Ces mêmes débuts qu’Ambra Senatore a analysés dans une thèse de doctorat soutenue à l’université de Turin, après une année à Paris 8.
3 L’image-corps aurait pu être un troisième opus deleuzien, après L’image-mouvement et L’image-temps.

Ambra Senatore est née à Turin en 1976 et travaille dans le milieu de la danse contemporaine depuis 1997. Après des expériences de création collective elle commence un travail en solo en 2004.
Elle a collaboré avec Roberto Castello, Giorgio Rossi, Raffaella Giordano, Jean Claude Gallotta et Georges Lavaudant (production du Théâtre de l’Odéon, Paris), Marco Baliani, Antonio Tagliarini.
Elle s’est formée avec Raffaella Giordano, Carolyn Carlson, Dominique Dupuy, Jean Cébron, Karin Waehner. En 2001 elle a fréquenté l’Accademia Isola Danza di Venezia, dirigée par Carolyn Carlson.
Elle a terminé un doctorat sur la danse contemporaine en Italie et, en tant que chercheuse, donne des cours d’histoire de la danse à l’università Statale de Milan et à l’université de Turin.
Elle a publié le livre La danza d’autore. Vent’anni di danza contemporanea in Italia, édition UTET, Torino, 2007
Passo-duo a gagné le Prix Equlbrio 2009 de la Fondazione Musica per Roma.
Studio, première étape pour création 2011, a gagné le deuxième prix du jury au concours (re) connaissences 2010.

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