ÉDITOS

Panne de rêve…

PAndré Rouillé

Voici des décennies que la culture est ignorée, négligée, méprisée par les dirigeants et les représentants de l’Union et des nations européennes. Car la culture ne fait qu’accessoirement partie de leurs préoccupations, de leur formation et de leur univers, sinon à titre privé ou de divertissement.
En dépit des belles déclarations et des meilleures intentions, l’Europe ne consacre que 0,12% de son budget à la culture

, et le Traité ne prévoyait guère plus — l’argument selon lequel le financement de la culture incombe aux états est aussi irrecevable que son niveau scandaleusement bas.

«S’il fallait refaire l’Europe, je commencerais par la culture», reconnaissait cependant Jean Monnet, l’un des fondateurs de l’Europe. Malheureusement sa lucidité rétrospective n’a pas été suivie d’effets.

L’art, la culture et les productions culturelles jouent pourtant un rôle économique, idéologique, et même stratégique, majeur dans le monde d’aujourd’hui, et le potentiel dont dispose l’Europe en la matière est immense.
Malgré cela, au fil des décennies, par incompétence et cécité politique, et par une véritable mécompréhension des forces de cohésion et de dialogue qu’elle recèle, la culture européenne a été maintenue dans un état de paupérisation profonde face aux offensives des autres cultures du monde. Et cela continue : la fameuse «diversité culturelle» — toujours sans moyens — ne se réduit guère qu’à de dérisoires incantations face à l’hégémonie anglo-saxonne et aux concurrences asiatiques.

Cette façon de laisser en friche l’une des principales richesses de l’Europe est inadmissible parce que suicidaire. La dégringolade est rapide, et sans doute déjà insurmontable. Qu’il suffise de comparer la place de la philosophie française dans le monde d’aujourd’hui avec celle qu’elle occupait à l’époque où Deleuze, Barthes, Foucault, Derrida, irriguaient de leurs écrits la pensée occidentale.
Bien que le budget français du ministère de la Culture ne soit pas le plus ridicule de l’Union (sans toutefois atteindre le 1% symbolique), la France est devenue presque invisible sur la scène internationale de l’art contemporain.

En terme de visibilité internationale de la France, c’est le sport qui semble avoir remplacé la culture, ce qui n’est évidemment pas anodin. En ces jours où Paris s’active en vue d’être choisie pour organiser les Jeux olympiques de 2012, il peut être éclairant de rappeler le triste sort qu’a connu l’Exposition internationale qui devait se tenir à Paris en 2004 (les expositions internationales fonctionnent comme les expositions universelles, à cette différence près qu’elles sont thématiques).

Paris avait donc été sélectionnée par le comité international pour accueillir l’Exposition «Image 2004» à laquelle devaient participer plus de cinquante pays. Le site retenu se situait en Plaine Saint-Denis. Les projets architecturaux prévoyaient une réhabilitation du secteur et le maintien des pavillons après l’événement, tandis que des entreprises spécialisées dans les différents domaines des images envisageaient de s’installer à proximité, ce qui aurait permis de créer en Ile-de-France un pôle pérenne d’excellence consacré aux images.
En outre, en ce début de millénaire, la France devait être, pendant les trois mois de l’Exposition internationale «Image 2004», le centre du monde des images, et le point de convergence de tous les regards…

Mais voilà : Jean-Pierre Raffarin arriva au gouvernement, il commanda aussitôt un audit, puis décida, dans la précipitation et sans justification, d’annuler l’Exposition «Image 2004». Exit la parole de la France, exit les engagements vis-à-vis du comité international et des pays candidats, exit les projets et les dépenses engagés, exit les perspectives économiques et culturelles, exit les aménagements et le rééquilibrage de l’est parisien, exit le rayonnement international de la France dans le monde des images.

De mauvaises langues ont prétendu que les raisons de cette décision aberrante résidaient dans le fait que l’initiative avait été portée par l’administration Jospin, que le site était situé en terre communiste, et que le rééquilibrage de l’est de Paris n’était pas une priorité politique…
Mais cette fracassante entrée en fonction du Premier ministre Raffarin n’était que la répétition, en farce, de l’épique bataille que le Maire de Paris, Jacques Chirac, avait quelques années auparavant menée contre François Mitterrand, Président de la République, avec comme mot d’ordre: «Non à la candidature de Paris à l’Exposition universelle de 1989 !».

C’est ce lourd fardeau d’actions imbéciles, de mécompréhensions, de mépris, d’arrogance et d’immobilisme qui pèse sur la culture, la pensée, et l’art dans ce qu’ils ont d’intempestif, d’incontrôlable, de créateur.

A la panne de rêve et d’utopie dont souffrent la France et l’Europe, le Traité constitutionnel n’offre que de froides réponses technocratiques élaborées loin des peuples, sans autres horizons que ceux des taux de profits.
Alors que les saint-simoniens du XIXe siècle, maîtres d’œuvres de la société industrielle naissante, de l’aventure des chemins de fer, et du grand mouvement des expositions universelles, plaçaient, eux, les artistes au sommet de leur édifice social aux côtés des industriels.
Persuadés qu’ils étaient que l’on ne construit rien de grand et que l’on n’invente pas des mondes sans désir, passion et imagination, sans les peuples et les hommes. Ce que, manifestement, nos élites nationales et européennes ne savent pas faire, ou n’imaginent pas même possible.
Or, c’est d’impossible dont on manque aujourd’hui…

André Rouillé.

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Miguel Chevalier, Paradis artificiels, 2003. Création logiciel Music2eye. © Suzanne Tarasiève.

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