ART | EXPO

Où se trouvent les clés?

05 Juil - 23 Nov 2008
Vernissage le 05 Juil 2008

En faisant dialoguer installations vidéos monumentales et cabinet de curiosités, intérieur et extérieur du lieu d’exposition, traces de l’enfance et crainte de la religion, Douglas Gordon propose une exposition mélancolique où chaque salle est pensée comme un organe humain.

Douglas Gordon
Où se trouvent les clés?

Après l’exposition de l’été dernier offerte par Cy Twombly à Avignon, l’été 2008 sera consacré à l’artiste écossais Douglas Gordon qui proposera une exposition lunaire, sombre, d’une mélancolie toute saturnienne. Dans les couloirs et les escaliers, planeront les fantômes du docteur Charcot et ses cobayes féminins utilisés pour son étude sur l’hystérie, les rôdeurs des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, la tête d’un condamné à mort fraîchement guillotiné qui dialogue quelques secondes encore avec le médecin légiste, l’invention hybride de Frankenstein par Mary Shelley, ou encore l’emblématique Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, beau et tragique comme le Faust de Goethe, ultime miroir déformant de Douglas Gordon.

Le corps humain sera dans cette exposition inédite pensé comme un tout à l’image du globe terrestre. Douglas Gordon a décidé de proposer le musée comme la métaphore de cette totalité cosmique où chaque salle sera pensée selon des parties corporelles, des organes internes, palpitants, générateurs de vie ou libérateurs d’humeurs, comme on l’entendait à l’époque médiévale.

Le musée offrira comme jamais auparavant des jeux de miroir entre l’extérieur et l’intérieur du lieu, entre le corps humain et les oeuvres de l’artiste. Le visiteur sera totalement associé à cette aventure digne de celle qu’entreprit le capitaine Nemo dans son Nautilus : un laboratoire au fond des océans où son hublot devenait la loupe scrutant l’acte créateur au tréfonds de l’âme.

Pour ceux qui connaissent déjà parfaitement l’oeuvre protéiforme de Douglas Gordon et ceux qui vont la découvrir, cette dimension allie l’image universaliste d’un ancien cabinet de curiosité à une leçon d’anatomie grandeur nature où, comme Léonard de Vinci, l’artiste tente de pénétrer au plus profond de l’être, donnant lieu à un voyage unique et pénétrant pour chacun d’entre nous.

Beaucoup d’installations vidéo rarement présentées seront réadaptées aux proportions des salles, avec par exemple dans la grande galerie une mise en abîme de la double projection de l’éléphant plus monumental qu’une sculpture en acier corten de Richard Serra, et au fond la double vidéo reprenant des archives d’un Éloge de la folie où des malades de la Salpêtrière sont en prise à des manifestations d’hystérie. L’hôpital psychiatrique de Montfavet et les 30 années d’incarcération de Camille Claudel sauteront à la mémoire des Avignonnais et de ses admirateurs.

Puis les thématiques toutes existentielles propres à l’artiste reprendront une force nouvelle dans cette cité papale habitée par l’esprit chrétien : la révélation de la Vierge à Bernadette Soubirou à Lourdes est confrontée à celle, tragique, du film diabolique de l’Exorciste, alors que dans une salle attenante, les transformations du Doctor Jekill en Mister Hyde seront représentées au ralenti. Idem pour la figure centrale de l’oeuvre de Douglas Gordon 24 Hours Psycho, version dilatée à l’envie du chef d’oeuvre d’Alfred Hitchcock. Elle sera entourée de Blind stars ou de Selfportrait as you & me, des centaines de photographies de stars inédites, toutes françaises, Arletty, Casares, Bardot, Deneuve, Gabin, Villard, Delon, Belmondo, aux yeux crevés comme ceux d’Oedipe, ou aux orifices brûlés comme dans les autodafés plus proches de ceux des fanatiques de l’Inquisition espagnole de Goya que des nazis pour la triste Nuit de cristal…

Ce corps qui se métamorphose ou s’autodétruit, c’est celui que présente Douglas Gordon à travers ces jeux de facettes, de miroirs, de tatouages corporels comme autant de rébus, de tiroirs, de clés qui servent à s’ouvrir sur un monde nouveau.

Le traitement des façades dans toute la cour intérieure sera un hymne aux pièces de texte que Douglas Gordon invente depuis près de 15 ans. Telle une partition musicale, toute la façade du musée résonnera avec les salles du musée aux fenêtres ouvertes sur le dehors en livrant des sentences qui rappellent les maximes antiques, les prophéties messianiques, des tags et autres graffitis amoureux des latrines, ou bien les empreintes du Diable. Par un jeu habile de filtres plus ou moins opaques posés sur les fenêtres, le musée pourra être plongé dans l’obscurité la plus noire pour présenter des immenses installations vidéo, car celles-ci, par leur luminosité intrinsèque, souligneront quand même les détails de l’architecture.

Mêlées à ces installations vidéo, des photographies anciennes d’archives personnelles et d’autres, nouvelles, spécialement réalisées pour le musée seront autant de clés pour entrer dans l’univers de l’artiste. L’artiste démiurge n’est-il pas tout à la fois unique et universel, inventant les reflets d’un miroir à travers lequel chacun de nous peut retrouver les signes de sa petite enfance, les peurs d’une religion bien trop moraliste pour être honnête ou celles d’une adolescence faite d’amour de stars déchues ou des dieux du stade tel Zinédine Zidane.

Enfin, cette extraordinaire image primitive du serpent initiant la vie après le chaos sera le symbole de l’oeuvre inédite de Douglas Gordon exposée au Palais des Papes : ici le serpent est l’ami des cultures amérindiennes, là il est l’ennemi juré de notre histoire chrétienne depuis qu’Eve a croqué la pomme. Cette symbolique du serpent détruit les limites manichéennes du bien et du mal, l’artiste le rappelle avec l’un de ses films préférés, La nuit du chasseur de Charles Laughton, où Mitchum se métamorphose en un horrible chasseur d’enfants qui a tatoué sur chaque main «Hate» et «Love», haine et amour…

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