ART | CRITIQUE

Occupancy by More Than 6’682’685’387 Persons is Dangerous and Unlawful Part One

PNicolas Villodre
@18 Oct 2008

Cosmic soumet une «proposition» de Pierre Bismuth qui a mis au défi une dizaine de ses collègues et amis pour réaliser des «pièces» à quatre mains. Tout n’est pas probant, mais certains de ces exercices de style sont dignes d’intérêt.

Mais que va-t-on faire de toutes ces babioles et tableaux produits, jour et nuit, par des rapins infatigables? C’est une question qui se pose lorsque, malgré Duchamp, l’art conceptuel et toutes les révolutions/résolutions des années 70, on persiste et signe quantité d’œuvres picturales. Comme si l’art n’avait pas d’histoire(s).
Cette question peut-elle être simplement réglée par des gestes artistiques tels que le stockage, l’enfouissement, l’abstinence, le palimpseste, le vandalisme, le recyclage? Pas sûr.

Pierre Bismuth ne manque ni d’air (il a disposé des 500 mètres carrés de l’ancien garage bellevillois occupé par la galerie Cosmic), ni d’idées (le quadra a parrainé et mis à contribution dix jeunes artistes de son affection pour cet événement).
Cela fuse et cela part dans tous les sens. Connu pour avoir toujours interrogé les images ainsi que les codes permettant de les déchiffrer, et avoir posé un regard ironique et distancié sur les objets qui nous entourent, Pierre Bismuth est devenu célèbre après avoir obtenu, avec Michel Gondry et Charlie Kaufman, un oscar pour le scénario du film Eternal Sunshine of the Spotless Mind, tourné en 2004. Cela ne l’a pas empêché de continuer à exercer son activité d’artiste plasticien, ici (à Bruxelles) ou là (à New York). Mais venons en au fait, à l’expo parisienne.

Un grand tableau en mauvais contreplaqué, calé à même le sol, «composé» de traces de peinture verte hâtivement déposées au rouleau, accueille le visiteur. Ce pan de décor de théâtre, réalisé avec Elisaveta Konsolova, s’intitule en un français tout ce qu’il y a d’approximatif Potemkin Landscape, en référence aux villages du même nom qui avaient inspiré le Belge Hergé pour son Tintin chez les Soviets. Le résultat, dans le cas présent, n’est pas fameux.

Un cadre vide trouvé dans une brocante est posé au sol. Au-dessus, Pierre Bismuth et Cyprien Gaillard ont accroché quatre cartes postales anciennes en noir et blanc, encadrées et protégées par du verre, curieusement voilées par des bouts de papier blanc signés du seul Pierre Bismuth. La démarche «corrective» qui est celle, habituelle, de Cyprien Gaillard s’accorde à l’«appropriation», par une date et une signature, de Pierre Bismuth. Cette série est à la fois cohérente et aboutie.

Un peu plus loin, un photomontage agrandi et reporté (retouché) sur toile présente un homme à le tête de courge…

Façon Martial Raysse, en «povera», pour ne pas dire «cheap», avec l’aide de Stefan Brüggemann, Pierre Bismuth s’est lancé, cette fois, dans l’emploi du néon, réduit au néant ou presque: à l’inscription minimaliste, dans une langue exotique, des mots «No Content» qui se surimpriment à un bombage de facture maladroite de l’adjectif «Shallow». Plus loin, sur piédestal et sous verre, se trouve une sculpture des deux compères, Two Letters, composée d’un cercle et d’un «n» inversé qui, d’après la rumeur, peut se lire «on» ou «no».

Un diptyque de grand format, sur un motif de losange en noir sur fond blanc, bricolé par Gardar Eine Einarsson, inspiré, paraît-il, de l’imagerie facho, skin et punk, intitulé Antisocial, reprend la formule d’une série de Pierre Bismuth, Des choses en moins des choses en plus.
Le tableau de gauche a été fabricoté à l’emporte-pièce. Les disques qu’on y a carottés jonchent le plancher du vieux garage en conférant une troisième dimension à l’œuvre. C’est un peu trop appliqué et, d’un autre côté, pas assez rigoureux, pas bien précis, manquant de finition.

Exhibitions est l’inévitable pensum de vidéo-art sans lequel, pense-t-on communément, plus aucune exposition artistique digne de ce nom n’est possible. Les clips, réalisés avec l’aide de Claire Fontaine, portent sur l’art et son milieu…

Dans le même genre, un écran plat diffuse en boucle une phrase rédigée dans la langue de Bill Viola : «In fifteen minutes, everyone will be in the future». La tautologie ou œuvre à prétention vidéographiqe, cogitée par Pierre Bismuth et Aaron Schuster, s’intitule Famous, s’anime de fonds colorés à la Sharits et se réfère, ce coup-ci, à la plus fameuse phrase d’Andy Warhol. Faudrait peut-être, de temps en temps, être un peu plus original, singulier ou premier degré!

Un grand poster sans titre, co-signé par Thomas Lélu, rend hommage (où s’arrête la citation ? où commence le plagiat ?) à Helmut Newton, l’auteur de la photo d’une belle brune à longues jambes (et à poil, comme il se doit), qui a été abîmée par la faible résolution du fichier Jpeg ayant servi à l’agrandissement et entachée de traces soi-disant inspirées de LeWitt et Polke (on y lit le mot d’esprit, «Geist»).

Un diptyque réalisé avec l’aide de Jonathan Monk présente une phrase et sa variante, pas vraiment bien calligraphiées, toujours dans le même langage crypté : «This painting should ideally be hung to the left of a Jonathan Monk» (la variante de droite étant : «To the right of a Pierre Bismuth»). Une note d’intention de Pierre Bismuth, envoyée de Paris/New York, est accrochée sur le mur contigu.

Un espace inactinique dédié à la diffusion DVD sur grand écran montre une version «à malin, malin et demi», co-réalisée avec Cory Arcangel, d’un film de Guy-Ernest Debord paru en 1973, adaptation écranique de son ouvrage La Société du spectacle, paru en 1967. L’inscription «Change bulb», en plein milieu de l’image, vient gentiment perturber la vision du film situationniste.

Pierre Bismuth a tenté de renouer avec la tradition de l’œuvre réalisée en commun, comme au temps des cathédrales et des ateliers des maîtres de la Renaissance. Tout n’est pas probant, mais certains de ces exercices de style sont absolument dignes d’intérêt.
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— Pierre Bismuth & Thomas Lélu, Untitled (Lewitt & Mc Carthy), 2008. Photo couleur marouflée sur toile. 144 cm x 150 cm
— Pierre Bismuth & Jonathan Monk, This Painting Should Ideally Be Hung To The Right Of A Pierre Bismuth. This Painting Should Ideally Be Hung To The Left Of A Jonathan Monk, 2008. Acrylique sur toile. 100 cm x 150 cm, série de 3 pièces
— Pierre Bismuth & Matias Faldbakken, One Spray Can Not For Public Use, 2008. Bombe sur mur. Dimensions variables
— Pierre Bismuth & Gardar Eide Einarsson, Antisocial, 2008. Acrylique sur toile. Diptyque, 120 cm x 160 cm
— Pierre Bismuth & Stefan Brüggemann, Shallow, 2008. Bombe sur néon. Dimensions variables

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