ART | CRITIQUE

Nuit Blanche Mayenne 05

Vernissage le 27 Oct 2015
PFlorian Gaité
@27 Oct 2015

Pour sa cinquième édition, la Nuit Blanche Mayenne présentait une programmation généreuse, diverse et volontaire. Résolue à faire du plus modeste des événements du genre en France un incontournable du Grand Ouest, la ville de Mayenne, à travers l’équipe du Kiosque, invitait néophytes et initiés à une errance curieuse, anachronique et conviviale.

Regroupant plus d’une trentaine d’artistes, la sélection de la Nuit Blanche Mayenne 05, confiée à Mathias Courtet, balaie un large spectre de la production actuelle, des arts plastiques aux arts appliqués, de la sculpture la plus formaliste à l’installation plus conceptuelle. Reflet de la pluralité de la proposition plastique dans l’art contemporain, cette diversité esthétique n’empêche pas de vrais partis pris curatoriaux, dont celui, appuyé, de donner une meilleure visibilité aux arts appliqués (gravure, design, sérigraphie, graphisme), encore trop souvent isolés dans les expositions institutionnelles. Le second point fort de la manifestation réside dans le dialogue nourri entre des œuvres récentes et les lieux patrimoniaux de cette place forte médiévale, avec son architecture militaire et religieuse. Etendue à des contextes moins conventionnels (la cour d’une école maternelle, les jardins d’une résidence ou le mémorial des déportés), cette scénographie urbaine dérange, de manière plus ou moins heureuse parfois, les normes d’exposition et les conventions de lecture.

Côté programmation, les pièces des grands noms de la scène française permettent de sensibiliser le grand public aux enjeux plastiques et critiques de l’art actuel. Placés dans la Chapelle des Calvairiennes, Les Stabiles de Xavier Veilhan, mobiles post-calderiens associant lignes élancées et sphères monochromatiques, témoignent ainsi de la persistance de préoccupations classiques dans la sculpture contemporaine – l’équilibre de la composition, l’illusion de la légèreté ou la consistance de la lumière – tandis que les œuvres d’Othoniel, un de ses colliers de perle en verre soufflé et une série de lithographies à la feuille d’or, rappellent, sans trop d’audace, l’art actuel à ses racines académiques: l’artisanat, la symbolique et l’esthétisme. Sans surprise pour des initiés, relevant de démarches désormais consensuelles, les propositions de Bruno Peinado (un cheval de Troie, balafré à l’encre de Chine, empruntant sa forme à un char à canon de l’époque coloniale) ou de Christian Boltanski (un autel monumental de boîtes à gâteaux en fer surmontées de portraits d’enfants disparus dans les camps),  gagnent néanmoins dans leurs espaces d’exposition une solennité qui appuie la gravité de leurs évocations (l’esclavage ou la Shoah).

Jouant davantage avec l’espace, les productions de deux artistes qui travaillent à la construction de deux paysages fantasmés, se révèlent, dans leur simplicité, proprement enthousiasmantes. En Substance, l’installation d’Olivier Sévère, se présente comme la métaphore du processus de formation du marbre. Une vidéo, la première pour cet artiste, présente le lent parcours d’une plaque de marbre flottant le long d’un canal, poétisant le passage de sédiments marins agrégés à leur cristallisation dans un minéral veineux. La sensualité des végétaux qui caressent la surface sur son passage et la dimension dramatique de la bande-son théâtralisent ensemble la genèse géologique, substituant à la grande histoire biologique l’espace restreint d’une micro-narrativité. Flottant dans une étendue d’eaux stagnantes, en résonance avec la diffusion de l’habillage sonore de la vidéo, la plaque invite à une plongée contemplative dans la nature automnale qui, dans cette clairière secrète aux effluves d’humus, se fait tableau mélancolique pour une Ophélie de marbre.

Le second est une autre valeur sûre de la sélection, Stéphane Vigny, invité par Sophie Vinet du centre d’art des Bains-Douches d’Alençon à laquelle Mathias Courtet a confié une carte blanche. Ce dernier se démarque avec les Bites-Chaumont, une rambarde à décors rustiquée, reproduction des célèbres barrières du parc parisien, enfermée dans une serre abandonnée du jardin de l’hôtel de ville. Détournement aux faux-airs de rébus lacanien, la pièce ouvre dans cet espace un nœud d’interprétations dense où le phallus est tour à tour associé à la puissance germinale de la nature, à l’idée d’une protection fantasmatique, comme à celui d’un fétiche intouchable.
Jouant de l’indécision entre l’esthétique artisanale et la crudité de son évocation, Stéphane de Vigny place le regard dans une situation d’ambiguïté, séduit et dérouté tout à la fois. Dans la même veine, deux sculptures hommages à Brancusi, Le coq et Princesse X «La Coquet», reproduites en béton cellulaire, installent un trouble interprétatif, croisant la préciosité du modèle et la trivialité de sa connotation sexuelle. Situées dans le jardin des locaux de France Terre d’Asile, elles doublent ce premier niveau de signification d’un second plus historique, confrontant l’apparente gratuité formelle de la sculpture au statut d’immigré du maître moderniste auquel elles se réfèrent.

Dans le palais carolingien, qui abrite de précieuses collections de jeux médiévaux, étaient réunies des œuvres articulées au thème du ludique. L’inquiétant château en ruines de Myriam Méchita, réalisé en Lego noirs, tout comme les trésors enfouis d’Evor, Tessiges, rappellent aux désirs et aux angoisses de l’enfance à travers des formes simples et élégantes, guidé par un sens subtil du reflet et de la nuance chromatique. Plus en dérision, le travail de Charlotte Vitaioli (deux grands dessins au feutre, un Dark Vador écrasé au sol) et la proposition confondante de Tcrm Blida, une salle de jeux d’arcade façon rétro-gaming, opposent à la morbidité des jeux placés sous vitrine, la vitalité de divertissements incarnés et activés par le public. Parmi les autres propositions de la Nuit Blanche, on retient la discrète mais subtile intervention de Cédric Guillermo, un fil électrique tiré entre des têtes de zébus sculptées, tendu le long des remparts, les mystérieux essaims de Jonas Delhaye, la vidéo d’Adrien Missika sur l’histoire fascinante d’un forage du Turkménistan en feu depuis 1971, ou le travail raffiné de gravure de Fabien Tabur, réalisé avec l’atelier de reliure local. Assurant une présence internationale, le trio de peintres espagnols Rubenimichi, et Antonio Fernandez Alvira, futur invité du centre d’art, ont pu montrer toute leur originalité et la maîtrise de leurs techniques respectives, à travers des peintures très léchées, dont la facture réaliste impressionne d’autant plus qu’elle s’applique à des montages fantaisistes, et des aquarelles de maquettes qui, telles des représentations de ruines, rivalisent avec le picturalisme du genre romantique.

Organisée pour la première fois, la «Nuit Blanche des minots» offrait enfin – outre atelier de sérigraphie et la réinterprétation des Unités d’habitations de Le Corbusier en clapier à lapins par David Michael Clarke – un projet interactif, à la fois simple et pertinent. Le collectif Bocal Ltd, enfermé dans un cube noir, se laisse en partie guider par les choix des participants à l’extérieur pour produire un dessin à même les parois intérieures, invités à modifier leur protocole d’exécution. Manière d’impliquer l’enfant dans la production artistique, mais également de performer à partir de contraintes, l’installation offre sans doute (avec les rencontres organisées autour des éditions La Maison&) l’interaction la plus généreuse avec le public.

Si on regrette quelques manqués, usuels dans ce genre de manifestation condensée dans le temps et dans l’espace (la Ferrari en bois de Frémont et Franchini qui ne se consume pas totalement, des erreurs d’éclairage ponctuelles et quelques approximations dans l’accrochage), reste que l’événement s’est montré à la hauteur de son ambition, un rendez-vous fédérateur, soucieux d’impliquer le public, qui ne sacrifie, dans sa pluralité, ni la cohérence, ni la qualité de sa proposition.

Oeuvres

– Christian Boltanski, Archives, 1965-1988.
– Stéphane Vigny, Les Bites-Chaumont, 2015.
– Xavier Veilhan, Stabiles, 2010-2011.
– Stéphane Vigny, Princesse X «La Coquet», 2013.
– Evor, Tessiges, 2015.

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