ART | CRITIQUE

Mircea Cantor

PAnna Guilló
@13 Avr 2002

Sentiment d’oppression devant la mise en scène cruelle de soi de l’artiste dans une tâche répétitive, mécanique et ridicule, ainsi que devant la vidéo d’un orchestre minable jouant sans passion ni conviction.

Le jeune artiste Mircea Cantor annonce la couleur dès le début: bleu électrique pour les murs de la galerie et le tube des années 80 du groupe Depeche Mode, Masters and Servants, pour nos oreilles.

A Fost Odata… (Once Upon a Time), il était une fois… l’histoire de «Mircea Cantor, né en 1977 à Oradea, Roumanie». Ainsi commence le long texte de lettres blanches en vinyle découpé qui investit tout un mur. On nous précise que ce texte est l’étude de la personnalité de Mircea selon la position des planètes et en fonction de son signe astrologique. S’en suit un long commentaire à mi-chemin entre la divination d’une nécromancienne et la lettre de recommandation. Le texte est scandé de bandes rouges qui viennent caviarder quelques mots, comme au bon vieux temps de l’Union Soviétique, en rendant ainsi la lecture un peu chaotique: «Mircea thrives on relating to other people. He cannot live without…», le dernier mot est barré. L’effet de transparence et la curiosité nous amènent à déchiffrer le mot «Love». Mircea, donc, ne peut pas vivre sans amour.

Once Upon a Time, est un travail autonome qui, ici indexé à une vidéo, fait place à The Rigth Man at the Right Place, le bon homme au bon endroit. Une vidéo sonore est projetée sur le mur en face du texte: un jeune homme (l’artiste lui-même) est filmé en buste, presque immobile, un projecteur rouge braqué sur lui sur fond de rideau bleu. Sinistre Karaoké malgré les couleurs criardes, le personnage (Cantor le bien-nommé) chante, inlassablement, le tube de Depeche Mode. La caméra, elle, fait la mise au point pendant les parties instrumentales du morceau de musique et retourne au flou dès que le chanteur se remet à sa besogne.

Ces allers-retours du net au flou additionnés à la chanson en boucle, ne créent pas la situation comique qui résulte généralement de ce genre de processus, surtout lorsqu’il exploite l’univers toujours un peu ridicule du karaoké. Au contraire, un sentiment d’oppression s’amplifie à mesure que le chanteur nous apparaît comme un robot, un prisonnier ou un ouvrier astreint éternellement à la même tâche répétitive. Du coup, le choix de la chanson évoquant l’univers sado-masochiste prend un tout autre sens, cruel, celui-ci.

L’esthétique impeccable de cette première pièce trouve son pendant «misérabiliste» dans la deuxième vidéo projetée dans la petite salle du fond de la galerie. Toujours sur fond de Masters and Servants, trois musiciens équipés d’un vague synthétiseur et de vieux micros à fils chantent le tube de Depeche Mode sur une estrade ornée d’un «2002» fluo et de deux stroboscopes peu entraînants. Tandis que les chanteurs, aussi peu convaincants que le décor de scène, se dandinent mollement en se concentrant sur la chanson, on imagine cette estrade montée sur une place de village désertée par la population.

Seul le public de la galerie, moins nombreux que celui d’un concert de rock, semble s’intéresser un tant soit peu à ces pauvres musiciens. Du coup, la même sensation éprouvée devant l’univers de travaux forcés de la première vidéo refait surface. Et en quittant les travaux de Mircea Cantor, on fredonne quelques paroles, there’s a new game… you treat me like a dog… we call it Mastes and Servants… tout investies d’un sens nouveau.

— A Fost Odata… (Once Upon a Time), 2002. Texte vinyle sur mur bleu. Œuvre unique, dimensions variables.
— The Right Man at the Right Place, 2002. Installation avec 2 vidéos et texte vinyle. 2 masters Beta numérique + 2 DVD + 1 CD avec texte. 3’ 58’’ chaque.
— The Right Man at the Right Place, 2002. Installation avec 2 vidéos, 2 masters Beta numérique + DVD, 3’ 58’’ chaque.

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