ART | CRITIQUE

Miquel Barceló

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

Pour sa nouvelle exposition à la galerie Yvon Lambert, Miquel Barceló présente un ensemble de grands formats, natures mortes et sculptures aux allures zoomorphiques. En utilisant le thème des fonds sous-marins, il fait une nouvelle fois l’éloge de la matière et met en scène la disparition, l’effacement et le temps qui passe.

Les murs de la première salle accueillent des toiles aux dominantes blanches et grises. L’épaisseur picturale caractéristique des productions de l’artiste contraste avec ces cimaises lisses et silencieuses.

A gauche en entrant, une coulure de peinture sombre partage le premier support en deux. De chaque côté, des éléments difformes et allongés semblent suivre la direction de cette dégoulinure qui gravite vers le sol. Ce «diptyque» de protubérances matiéristes a été balayé de gauche à droite et de bas en haut par les gestes de Miquel Barceló.
Cherche-t-il à effacer les traces de son propre passage? A brouiller les pistes qui pourraient nous conduire vers la genèse de son travail? Malgré la planéité de la surface une impression d’espace se fait ressentir. Une partie de la toile est plus proche de nous. La taille des objets grignotés par les empâtements d’acrylique les positionne au premier plan. La lisière centrale tranche ce point de vue et la deuxième partie de la toile nous conduit plus en profondeur.
Les repères spatiaux deviennent incertains. Sommes-nous face à un paysage désertique ou au dessus de celui-ci? Des petits rehauts de jaune guident le regard qui s’accroche ça et là aux reliefs et aux cavités. La lumière joue sur ce terrain remodelé par les différents matériaux incorporés à la peinture.

Plus loin, l’Encéphalogramme de la mer nous plonge dans le champ lexical de natures mortes aquatiques. Des conques renversés nous scrutent de leurs “orbites” noires et sans fond. Un sentiment d’inquiétude se dégage de l’ensemble.
Les “mâchoires” serrées d’une des coques qui nous toise nous renvoient bien malgré nous à notre propre condition humaine. Le graphisme incisif qui dessine le coquillage suggère une peau plissée par les marques d’une vieillesse avancée. Ces enveloppes protectrices laissées à l’abandon, ressemblent à des crânes oubliés sur la plage. Des glacis recouvrent cette portion de sol sablonneux comme une écume grisâtre. Cette mousse fait vibrer la surface et nous donne l’impression d’assister au flux et aux reflux de la marée.

Tout à côté, Boc Encapironat, sculpture en bronze, tourne le dos à ce spectacle. Cet animal décharné et non identifiable fuit avec lenteur un destin inexorable. Sa tête recouverte d’un capuche pointue ne laisse apparaître que deux trous qui font office d’yeux. Pétrifié sur place, il avance avec peine sur le socle pentu dans lequel il s’est embourbé.

Dans la pièce voisine, le thème de la mort se confirme. Le Grand Crâne central fait écho aux autres toiles qui l’entourent. La “très graphique boîte osseuse des humains” pour reprendre un terme propre à Miquel Barceló s’expose sur tous les murs de la grande verrière.
Accompagnée ou non d’autres attributs, elle ne daigne même pas nous faire face. De trois quart, de dos, de profil ou en plongée, ces têtes fixent un horizon invisible. Elles nous entraînent dans leur méditation. Des fonds colorés, tantôt bleu, rouge ou vert percent la couche crayeuse. Elle porte les stigmates des triturations de son épiderme.
Tout ici est symbole de la disparition et du temps qui passe. Les allumettes représentées dans le Crâne aux huîtres et aux allumettes sont là pour nous confirmer que la vie se consume petit à petit. En contre partie, des petits signes semblables à des spermatozoïdes ondulent comme des têtards et encerclent par endroit cet emblème mortifaire.

Sursaut de vitalité, allégorie de l’espérance et du renouveau? Les toiles de Barceló sont bien plus qu’un discours figuratif de la perte. Elles laissent surgir leurs entrailles pour nous donner une vision phénoménologique des formes et des couleurs. La matérialité de la peinture devient explicite. Elle se livre pour ce qu’elle est : un médium idéal, un épiderme, une chair plastique viscéralement modelée par les émotions de l’artiste.

Miquel Barceló
Corne aux huîtres et allumettes, 2006. Mixed media on Canvas. 235 x 285 cm.
Corne à Lune, 2006. Mixed media on Canvas. 175 x 190 cm.
Encéphalogramme de la mer, 2006. Mixed media on canvas. 200 x 300 cm.
Boc Encapironat, 2006. Mixed media on Canvas. 200 x 170 x 60 cm.

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