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Mark Francis

PGéraldine Selin
@12 Jan 2008

Grands formats de couleurs vives, parfois acidulées, les peintures de Mark Francis déclinent le motif moderniste de la grille dans une évocation de réseaux renvoyant à la biologie cellulaire, à la circulation routière ou aérienne, ou encore au domaine du textile et aux modèles mathématiques. Evocation multiple d’une peinture des flux comme vision du monde. 

Grands formats de couleurs vives, parfois acidulées, les peintures de Mark Francis font se croiser des lignes qui ondulent sur des surfaces brillantes et unies, ou qui s’intègrent dans un milieu mat travaillé tout en nuances. Sur la toile se mêlent la peinture à l’huile, l’acrylique et la résine dans une évocation de réseaux de câblages électriques ou de structures moléculaires.

Ces œuvres ont quelque chose à voir avec la peinture expressionniste américaine des années cinquante. Elles semblent revenir en particulier sur le motif de la grille théorisé par Rosalind Krauss dans L’Origine de l’avant-garde et autres mythes modernistes. L’auteur y relevait l’ambiguïté de la grille dans sa traversée des XIXe et XXe siècles, de Odilon Redon chez qui elle est fenêtre, en passant par Mondrian, jusqu’à Jasper Johns, ou Agnès Martin. La grille s’affiche comme présence matérielle et, en même temps, par sa puissance de suggestion, nous fait accéder à une fiction.

Les « grilles » de Mark Francis pourraient être qualifiées de centrifuges: elles se présentent comme fragment d’un espace qui se continue au-delà des bords. Elles sont matrice d’ordre, organisation rigoureuse, et en même temps soulignent la matière et le flux de la matière. Mais peut-être montrent-elles surtout l’invalidité du dualisme de la matière et de la forme pour penser la peinture, et l’art en général. Le peintre relie la grille à la carte, au diagramme. Le flux de peinture peut renvoyer aux phénomènes de la biologie cellulaire, mais aussi aux mouvements de la circulation routière ou du réseau aérien, ou encore au domaine du textile, aux modèles mathématiques. Evocation multiple d’une peinture des flux comme vision du monde.

Les œuvres de Francis nous font réfléchir sur ce qu’est un plan en peinture, interrogent la notion de plan dans l’histoire des théories de la peinture. Clement Greenberg, qui a forgé la théorie moderniste, parlait de planéité anti-illusionniste concernant l’expressionnisme abstrait américain. Selon lui, l’évolution historique de la peinture occidentale suivait un « processus d’auto-purification » vers une pure planéité qui ne se limite pas à la bidimensionnalité. Cette planéité était liée à la pureté du médium — la peinture questionnant les moyens de sa pratique — et à une « pureté optique », un voir picturalement. Mais le plan en peinture ne rime pas forcément avec l’abstrait en peinture. Avec Leo Steinberg, il devient une surface destinée à recevoir des matériaux divers (photographies, journaux, tissus). Steinberg voit dans les œuvres de Rauschenberg non pas des « champs verticaux », mais des « plateaux (flatbed) opaques et horizontaux ». Le plan en peinture est un plan « transfert », une surface sur laquelle des objets de notre environnement sont déposés et mêlés à la matière picturale. Cependant, l’art est toujours transformation. Il est l’artifice même.
On peut se demander si les peintures de Mark Francis ne font pas du plan en peinture un « plateau » au sens de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, un plan qui croise de multiples territoires.

Le titre de chaque œuvre est composé d’un mot, tantôt en anglais avec une référence au domaine de l’électricité — Cable (fil conducteur), Equalize (équilibrer les forces; equalizer: égalisateur de potentiel) ou Capacitator (capacity: rendement, débit, capacité d’un condensateur) —, tantôt en latin dans une acception plus générale qui peut intéresser des domaines très divers. Adaptus désigne une « enzyme adaptative », ou nomme « une adaptation comme transformation pour s’harmoniser dans un milieu »; Fixus est le nom d’un  » nvariant dans une transformation », signifie aussi « rendre stable ce qui change ». Adapter, stabiliser, équilibrer, faire passer l’énergie, transformer… Mais c’est la peinture qui fait le nom, et non l’inverse, c’est elle qui fait sens. La peinture est une histoire de potentiel, comme différence de potentiels. Elle n’est pas dans un rapport de cause à effet avec le monde. Comment penser les liens entre les diagrammes élaborés à partir de la nature et ceux qui servent à construire le monde? Comment représenter les passages qui s’opèrent entre les modèles de représentation? L’art n’est pas là pour rendre compte de la société, pour en donner un reflet. C’est la société qui peut trouver dans l’art sinon des réponses, du moins des questionnements. Parce que l’art ne voit pas seulement le monde, il le pense.
 

Mark Francis
Série de peintures de 2001. Technique mixte : huile, acrylique et résine sur toile. Grands formats : 213 x 183 cm ou 213 x 274 cm.

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