ART | EXPO

Marellomorpha

30 Jan - 01 Mar 2016
Vernissage le 30 Jan 2016

Lionel Sabatté élabore des microsystèmes en coulées de peintures à l’huile. La forme dérive de la matière versée à même le support, et amène le peintre à construire des univers organiques imaginaires.

Lionel Sabatté échafaude des techniques pour animer des formes. Il y a les échafaudages sculpturaux, dont surgissent des créatures en béton, en poussière, en ferraille ornée de pièces de monnaie — orientalisme nourricier —, en rognures d’ongle, en peaux mortes de pied, captant le nomadisme fondamental du cycle du vivant, hybride, fertilisateur, utilisant des matériaux vieux comme le monde. Et il y a les échafaudages fluides, le travail de morphogenèse à partir des qualités poïétiques de la peinture, co-organique à tous les gestes artistiques de Lionel Sabatté. La peinture, fondamentale, lieu du travail d’apparition de la lumière, aimante le désir de faire de l’artiste, son désir de produire, pour saisir l’événement de l’éclat comme quand on craque une allumette.

Lionel Sabatté peint en laissant s’exprimer formellement la peinture dans ses différents états de fluidité. Joue ainsi des contrastes, de consistance, de couleurs – bouquets de couleurs jaillissant de fonds changeants, bisqués, atténués de vert-gris, mêlés de pourpre, de bleu nuit, d’acajou, d’aubergine, d’ambre jaune, de beurre frais, baignés d’ondes claires, soulevés d’aube d’été, émettant une lumière vespérale de bronze. Le fond argile aspire et fait jaillir, contenant sa création déjà épatée et épanchée. Le fond alezan, lui, emporte, avec une célérité maximum et immobile. De ces fonds, des formes passent à la lumière, îles émergées, huîtres perlières, moules, corail, bouquets de plumes de paon. Epandue et suspendue, la forme s’érige en précipités contrastés de couleurs pures, denses, matérielles, solides.

Lionel Sabatté peint et crée, avec des sensations visuelles qui combinent transparence et opacité, de la sensation de chose physique, sensation qui renvoie à tout l’éventail du palpable, du touché à l’imagination, du consistant aux brumes de l’imaginaire. La forme dérive de la matière, elle coule de la source d’indétermination matérielle qu’est la peinture, jouant de facteurs chimiques comme la température et la densité particulière des différents mélanges de fluides en peinture, se prêtant à différents processus de recouvrement, de coulure, d’irisation, de saturation, de durcissement, de fixation sur la toile – jusqu’à l’arrêt quand la différentiation des formes et des volumes est là.

C’est une invitation à plonger que nous lance la peinture de Lionel Sabatté, pour jouir de moments privilégiés d’apnées dépaysantes, bien au large des références de l’art mimétique, dans les profondeurs de la création par flux. Pour ne plus penser à plat, on pourra se laisser happer, et considérer le soin mis à suivre et épouser les lois de la nature de la peinture et de ses adjuvants densifiant ou opalescents. La peinture huilée, ouverte, plastique, différemment fluide, dicte sa loi. Dicte sa loi sur toute la surface. D’abord elle lave, trempe, prend l’espace et crée le fond des choses. Puis elle se concentre et s’étale, se propage, s’épanouit, toute puissante, effrontément glorieuse, avec un panache provoquant, superbe de liberté, entraînant le motif et le travail de figuration avec cette énergie première qui vient de la matière liante et dense.

Il y a des nuées vivantes, des têtes, des yeux, coulés par peinture. Faune, flore de peinture. La vie se coule, se raffine, se précipite, se parfait, dans la matière déversée. La peinture de Lionel Sabatté est pictomorphique. Elle se déverse sur la toile comme un coup de dé, matérialisant la loi du hasard objectif, fait des rencontres d’une causalité matérielle indéterminée et d’une force de figuration donnant substance au fortuit. Ce travail s’effectue dans un cadre d’horizon d’attente très ouvert pour se réapproprier le matériau formel fourni par la peinture coulée et déversée au départ. Dans cette réappropriation se joue l’enjeu d’un dépaysement systématique qui passe par un approfondissement et un élargissement de la perception esthétique. Car, se faisant, la peinture maîtresse et maîtrisée, admet le désordre et le comprend, le transformant en éléments atmosphériques. Comme un pied de nez à l’entropie, la peinture, créant un champ de séduction et d’attraction, consume le hasard.

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