ART | CRITIQUE

Lux Perpetua

PFrançois Salmeron
@04 Mai 2012

«Lux Perpetua» (lumière éternelle) propose une exposition collective autour de cette thématique séculaire qui aura traversé l’histoire de l’art, et dessine ainsi un spectre partant d’Eugène Delacroix, et allant jusqu’à Pierre Soulages. Surtout, elle compose un parcours où les œuvres dialoguent ou se confrontent, entre éblouissement et obscurité.

Sitôt passé le portail du 46, rue Saint-André-des-Arts, nous voici propulsés sous les projecteurs, avec le Passage obligé de Michel Verjux. Un projecteur installé au plafond nous éclaire d’une lumière incandescente, comme un rayonnement divin descendant du ciel, prêt à nous illuminer, ou comme un spot braqué sur un artiste en scène, consacré dans toute sa splendeur. En tout cas, la lumière semble bien accompagner le créateur, qu’il soit divin ou simplement humain: elle émerge de lui, il la répand; ou elle le révèle aux yeux du monde.

Puis, dans la cour devant la galerie, une installation de Jannis Kounellis présente le nom même de l’artiste via des lettres de métal enflammées. Le feu, symbole prométhéen libérant l’homme de dieu, permet alors à l’artiste de graver son nom dans l’éternité, et de se faire l’égal d’un démiurge tout-puissant. Mais alors, l’homme se libère-t-il de sa condition grâce à l’art? Ou ne fait-il que répéter le péché d’«hubris», c’est-à-dire l’orgueil et la démesure de Prométhée, en voulant surpasser les limites qu’on lui aura assignées?

Dans l’espace de la galerie, une œuvre de Daniel Buren composée de draperies en fibre illuminées, nous hypnotise de son éclat vert et bleu fluo, tandis que face à elle, huit ampoules suspendues créées par Michel François nous plongent dans l’obscurité. Est-ce le courant qui ne passe plus? Ce sont plutôt les goulots et membranes de ces ampoules qui ont été retirés: nous nous trouvons alors face à des objets dont la fonction essentielle se trouve désarçonnée. La lumière d’Eurêka ne brillera définitivement plus.
L’œuvre Never Mind de Miri Segal, quant à elle, entame une conversation avec un logiciel doté d’intelligence artificielle, pour tenter de mettre à jour l’opacité du cœur humain et de sonder les affres de la solitude du monde virtuel: «Mon amoureux m’a laissée» lui confie-t-elle. «Ah! Tu avais un copain?» s’étonne Cleverbot, le logiciel. La parole peut-elle libérer nos souffrances les plus intimes et nous empêcher de broyer du noir?

Les œuvres à suivre nous invitent à une réflexion bien plus métaphysique. Alfredo Jaar, en proie à une inspiration mystique, «s’illumine d’immensité», à travers son installation en néon. Puis, la sculpture en albâtre d’Anish Kapoor interroge le concept de genèse, en travaillant une matière à la fois immaculée, virginale et translucide.

Ann Veronica Janssens, enfin, confronte l’œil de sa caméra, postée sur le toit de la galerie, au ciel au-dessus de lui, qu’il scrute inlassablement. «Big Brother is watching dieu». L’immense ciel étoilé réveille ainsi en nous le sentiment du sublime, ainsi que la vénération et l’admiration, comme le rappelait magnifiquement le philosophe Emmanuel Kant. Le ciel nous tient naturellement en respect et nous ramène également à notre condition périssable. Nous demeurons de simples «points» face à l’infinité des espaces, à l’image de ces petites gouttelettes d’eau déposées sur l’écran de la caméra, en cette triste après-midi pluvieuse du mois d’avril.

«Lux Perpetua» livre ensuite une réflexion sur l’espace et l’architecture de la galerie, notamment avec le néon fluo de Dan Flavin, véritable «structure-lumière» posée à l’angle d’une pièce, tout comme le Triple X de François Morellet s’intercale dans les angles des murs, via six néons entremêlés de 4,50 mètres.
Face à lui, un majestueux «outre-noir» de Pierre Soulages reflète et transmute la lumière. Cette œuvre nous transporte alors au-delà du noir, celui-ci se faisant paradoxalement émetteur de clarté et source de lumière.

Les dernières œuvres de l’exposition nous entrainent dans un univers dédié aux ténèbres du cœur humain. L’Othello et Desdémone d’Eugène Delacroix représente en effet le héros shakespearien sombrant dans la folie face à son aimée. Le Maure, en proie à d’obscures passions, finira par tuer la jeune femme. En écho à cette œuvre, un homme nu, à terre et menotté par la police, regarde une femme qui lui fait face. Dans ce cliché de Mohamed Bourouissa, c’est le sombre univers carcéral qui semble attendre ce jeune homme. La justice décidera de combien de temps il restera à l’ombre.

Å’uvres
— Daniel Buren, «Photo-souvenir»: Monochrome électrique – Bleu B2 et Monochrome électrique – Vert B3, 2012.
— Michel François, Sans titre (Ampoules), 2012.
— François Morellet, Triple X neonly, 2012. Blue argon neon tubes. 6 tubes (450 cm each). 323 x 2 (330) x 238 cm.
— Alfredo Jaar, M’illumino D’immenso, 2009. Néon blanc. 45 x 96 cm.
— Dan Flavin, Sans Titre (to the Real Dan Hill), 1978. Pink, gold, blue and green; lacquered métal. 243,8 x 13 x 20 cm.
— Mohamed Bourouissa, La prise, 2008. Photographie couleur. 90 x 120 cm.
— Claude Lévêque, Down the street, 2008. Installation. Glass shelves and lamps. Variable dimensions

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