ART | EXPO

L’Utopie d’August Sander

13 Sep - 10 Nov 2012
Vernissage le 12 Sep 2012

A travers cette exposition, Mohamed Bourouissa se propose de faire le portrait de personnes à la croisée de l’intégration et de l’exclusion sociale. II a ainsi mis en place un protocole artistique qui favorise l’échange et la rencontre entre des mondes, des réalités qu’a priori tout sépare, pour travailler ensemble et faire œuvre commune.

Mohamed Bourouissa
L’Utopie d’August Sander

Remarqué pour ses compositions photographiques de jeunes des cités, pour son film Temps mort qui traite du quotidien d’un détenu via des échanges vidéo par téléphones mobiles interposés, Mohamed Bourouissa investit avec ce projet un autre territoire, celui des demandeurs d’emploi. Autre contexte, autre tentative. A près d’un siècle de distance de son illustre prédécesseur le photographe August Sander, lancé dans l’ambitieuse tentative de dresser «un portrait contemporain de l’homme allemand», Mohamed Bourouissa, quant à lui, se propose de faire le portrait de personnes à la croisée de l’intégration et de l’exclusion sociale. II a ainsi mis en place un protocole artistique qui favorise l’échange et la rencontre entre des mondes, des réalités qu’a priori tout sépare, pour travailler ensemble et faire œuvre commune.

Dans un camion aménagé en studio, le fab-lab mobile, il propose à des demandeurs d’emploi de «devenir un monument» en se faisant scanner en 3D. Les images dirigées ensuite vers des imprimantes 3D, «l’atelier/usine de fabrication», servent à la réalisation de statuettes en résine polyester. Ce processus de fabrication n’est pas sans lien avec le médium photographique. Il est pour certains sa mutation technologique. Les statuettes ainsi réalisées sont, à l’instar de la photographie, «l’instant t» d’une situation donnée. Elles sont également «le devenir monument» d’une population aux limites de l’exclusion sociale qui trouve par le truchement de l’œuvre d’art une matérialisation de son identité.
Ces statuettes anonymes traduisent pour autant une réelle présence au monde, entendue comme attitudes multiples et identités singulières. Elles ne sont pas sans évoquer l’humilité des Bourgeois de Calais de Rodin. Outre leur présentation dans les espaces de l’art comme autant de témoignages d’un work in progress, certaines statuettes sont destinées à la vente à la sauvette; une économie de la précarité et de la débrouille qui interroge la complexité des relations d’échanges, de la valeur des biens mais aussi des personnes, comme force productive.

Depuis maintenant plus d’un an, Mohamed Bourouissa consacre une grande partie de son temps à la réalisation de L’Utopie d’August Sander, projet qu’il m’avait présenté en juin 2010. Installé à Marseille à l’automne 2011, il a configuré le fab-lab mobile avec les élèves de l’école d’art d’Aix-en-Provence, travaillé avec le Pôle emploi Joliette de Marseille pour rencontrer des demandeurs d’emploi, développé «l’atelier/usine de fabrication» dans le cadre de sa résidence à la Galerie des grands bains douche de la Plaine où, parallèlement à la fabrication des premières statuettes, il a organisé des temps de débats et de performances. Il a également vendu ses premières statuettes sur les marchés des quartiers nord de Marseille.

L’exposition de Mohamed Bourouissa s’inscrit à la fois comme temps de travail et de restitution de L’Utopie d’August Sander. En résidence à Gennevilliers et en lien avec la Mission Locale et l’agence Pôle emploi, il prolonge son travail avec les demandeurs d’emploi. La galerie Edouard-Manet, pensée à la fois comme espace de fabrication — «l’atelier/usine de fabrication» — et showroom, réunit un ensemble protéiforme d’outils, de matériaux, de documentation et de productions relatif au projet. Alors que les imprimantes 3D poursuivent la fabrication de statuettes, d’autres figurines achevées sont présentées comme autant d’objets d’art. Elles sont accompagnées de photographies, de vidéos et d’un ensemble de pièces documentant un processus en cours et une pensée en perpétuel mouvement auxquels la mobilité du mobilier fait écho.

En choisissant de travailler avec des demandeurs d’emploi, Mohamed Bourouissa ne nourrit pas l’utopie de pouvoir modifier leur sort — bien que, pour certains, leur «matérialisation» revêt une forte charge symbolique —, il indexe un contexte économique, politique et social où la question de l’humain, de la valeur de sa force de travail et de son exclusion par le travail sont des problématiques majeures.

Lionel Balouin

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