ÉCHOS
14 Mar 2010

Lucian Freud: rectification nécessaire

PSarah Ihler-Meyer
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L’exposition de Lucian Freud au Centre Pompidou s’accompagne d’articles pour le moins polémiques. Qualifiée de naturaliste, sa peinture détaillerait «sans pathos tous les défauts du corps» (Itzhak Goldberg), les personnages resteraient «coincés grassement entre un lit défait et un caleçon maculé» (Pierre Sterckx). Autant de considérations étonnantes de la part d’experts.

Bien que Lucian Freud se décrive «comme un biologiste, qui scrute la chair et la matière pour en saisir les ressorts» (Richard Leydier), sa peinture ne peut être comprise sous l’angle du naturalisme. Un tel contresens conduit à juger ses œuvres en fonction du sujet représenté et à voir dans des faits picturaux des anomalies physiques. Ainsi selon Pierre Sterckx, Lucian Freud fait du corps «une meringue bariolée dont les roses évoquent une sorte de pâtisserie phtisique».

En réalité, contemporain de Francis Bacon, Lucian Freud ne considère pas le corps du point de vue du scientifique, comme un ensemble de données paramétrables et quantifiables, mais du point de vue de l’artiste, comme le siège d’intensités et d’affects. Il ne s’agit pas tant du «corps-organe», objectif et rationalisable, que du «corps sans organes» subjectif traversé d’ondes et de flux.

De fait, la peinture de Lucian Freud ne vise pas une ressemblance extérieure, mais une ressemblance intérieure, non pas le corps tel qu’il est vu mais tel qu’il est ressenti. D’où les déformations figuratives et les empâtements de couleurs. C’est que, lorsque les éléments matériels affleurent sur la toile et interagissent avec les données figuratives, la peinture devient langage analogique, un langage qui part de la sensation et y revient, qui rend sensuellement compte d’une sensation.

En ce sens Lucian Freud s’inscrit dans la lignée d’Egon Schiele qui, au début du XXe siècle, n’hésita pas à tordre ses figures et à user de couleurs bigarrées pour exprimer les vibrations de la chair. Défigurer les corps au profit du pigment, de la pâte et du trait, signe le passage d’une logique représentative à une logique expressive, d’un sens symbolique à un sens sensible.

Bibliographie
— Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, Seuil, 2002.
— Pierre Sterckx, Itzhak Goldberg, «Rétrospective au Centre Pompidou. Débat: aimez-vous Lucian Freud?», Beaux-Arts magazine, n°309, mars 2010.
— Richard Leydier, «Lucian Freud le biologiste», Art Press, n°365, mars 2010.

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