ÉCHOS
23 Jan 2015

Luc Tuymans, condamné pour plagiat en Belgique: un verdict inquiétant pour la liberté de création

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Le jugement du tribunal d’Anvers a rendu sa décision le 15 janvier dernier. Luc Tuymans est considéré avoir violé les droits d’auteur de Katrijn Van Giel pour avoir reproduit en peinture son cliché du politique belge Jean-Marie Dedecker. Une décision difficile à accepter par le monde de l’art pour qui l’appropriation est un moyen courant de créer.

Luc Tuymans était accusé de plagiat au sujet d’une peinture de 2011, A Belgian Politician, une reproduction sur toile d’un cliché de Jean-Marie Dedecker par Katrijn Van Giel. Pris un soir de défaite, symbole d’une désillusion et d’une impuissance publiques, il fut largement diffusé dans les journaux. Il est par-là même devenu un medium de prédilection du plasticien belge qui s’interroge précisément sur la nature et le sens de ces images médiatiques, partagées par tous.

Le peintre ne dément d’ailleurs pas faire explicitement référence à la photographie de Van Giel mais il fait valoir son droit à la parodie. Inscrit dans la juridiction comme une manifestation de la liberté d’expression, ce dernier autorise un créateur à copier n’importe quel objet à la double condition d’y opérer des changements notables et de le faire dans l’intention d’en rire. Luc Tuymans met ainsi en avant le changement de format, le passage à la peinture mais encore et surtout la réinterprétation des couleurs (tirant vers un mauve plus disgracieux).

Ces arguments n’ont pas convaincu le juge qui estime l’œuvre trop proche de l’original, — reprenant son cadrage, sa luminosité et son choix de se focaliser sur la transpiration — mais encore pas assez sarcastique ou clownesque pour être considéré comme parodique. Il a ainsi condamné Luc Tuymans à ne plus montrer, ni reproduire l’œuvre, pourtant achetée par un collectionneur américain, sous peine d’une astreinte de 500 000 euros. Ce jugement ne semble pas prendre en considération la jurisprudence belge qui avait déjà étendu le droit de parodie au-delà de la caricature, à tout genre artistique à l’humour ironique ou décalé.

Au-delà de ce cas particulier, c’est toute la légitimité d’une pratique artistique contemporaine (l’appropriation et ses variations: emprunt, citation, parodie, pastiche etc.) qui semble être remise en cause dans ce jugement. S’inscrivant dans la lignée de Warhol ou de Richter, Luc Tuymans procède bien par recontextualisation de documents visuels, que ce soit à partir de photographies sur les chambres à gaz ou de portraits officiels de la famille royale belge. La généralisation d’une telle décision de justice ferait craindre le pire en posant des limites à de telles stratégies créatives, pourtant institutionnalisées depuis des décennies.

A la suite de ce jugement, les réactions ne se sont pas faites attendre. Alain Berenboom, spécialiste du droit d’auteurs et avocat de Luc Tuymans, s’est le premier étonné: «Comment un artiste peut-il mettre en question le monde avec ses œuvres s’il ne peut pas employer les images de ce monde?», le directeur du Wiels Dirk Snauwaert lui a emboîté le pas: «On pourrait dire sinon que chaque photographe vole l’image de celui qui est portraité et fait un vrai plagiat de la réalité», quand le dessinateur néerlandais Ruben L. Oppenheimer a publié un dessin dans De Standaard qui fait directement référence à l ‘œuvre incriminée.

Mobilisé et vigilant, le monde de l’art attend avec une certaine inquiétude la décision en appel de la justice belge, cherchant à voir s’il faut interpréter ce verdict comme un cas isolé ou comme l’indicateur d’une tendance à limiter la liberté de création.

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