ART | EXPO

Lost in translation

09 Oct - 21 Nov 2010
Vernissage le 09 Oct 2010

Les oeuvres réunis dans cette exposition suscitent des échanges et des confrontations mais nécessitent aussi, comme pour certains textes irréductibles à la traduction, d’envisager leur mystère, l’énigme de la création.

Communiqué de presse
Richard Baquié, Ursula Biemann, Mel Bochner, Jean-Marc Bustamante, Lynne Cohen, Marcel Dinahet, Ron Haselden, Jean-Marc Huitorel, Harrell Fletcher, Joachim Koester, Ken Lum, Bernard Piffaretti,…
Lost in translation

Pour la troisième année consécutive, le Frac Bretagne investit le Centre International d’Art Contemporain (CIAC) avec une nouvelle sélection d’oeuvres de sa collection.

Depuis plus d’un siècle, Pont-Aven accueille une communauté internationale d’artistes. Aujourd’hui, les étudiants de l’école d’art voisine du CIAC viennent du monde entier pour appliquer la maxime de Paul Gauguin: tout oser! Ils vivent dans le même esprit que leurs illustres aînés: logés chez l’habitant, ils consacrent leur temps à la création et à l’approfondissement de la recherche artistique. Au quotidien, ils expérimentent le choc culturel et les décalages qu’une telle immersion peut révéler.

Cet automne les cours sont organisés autour de la thématique que suggère si parfaitement le titre du fameux film de Sofia Coppola, Lost in Translation, ou comment considérer l’ambivalence comme déclencheur d’un processus créatif.

Il y a un parallèle entre la situation des jeunes artistes à Pont-Aven et les difficultés des personnages du film, pour s’intégrer et intégrer la réalité qui les entoure. Tout comme le cadre bucolique de Pont-Aven, les images de la mégapole Tokyo n’en sont pas moins d’une réelle séduction.

C’est une errance entre histoire d’amitié ou d’amour, connu et inconnu, un entre-deux permanent. Le titre est une référence à une définition de la poésie par l’auteur américain Robert Frost qui peut s’entendre ainsi: «La poésie est ce qui est perdu dans une traduction» (Poetry is what gets lost in translation). C’est bien dans ce sens qu’il faut envisager les oeuvres présentées, aptes à provoquer l’émotion au sein même des écarts ou des ruptures.

Borderline, vidéo de Marcel Dinahet, Ron Haselden et Jean-Marc Huitorel, est emblématique d’un travail réalisé par trois personnes attachées à un même lieu singulier –frontière entre deux départements, entre deux éléments, entre trois modes de création (séquences vidéo, images fixes et fragments de texte)- où se joue le partage d’un territoire dans tous les sens du terme: espace, localisation et point de vue.

Barbara Probst travaille à déconstruire l’habituelle perception espace/temps en enregistrant simultanément une même scène sous divers angles de vues, à l’aide de caméras multiples. Exposure # 43 est un diptyque de deux images prises à New York depuis le toit d’un immeuble. L’une représente la ville, l’autre, une bâche sur laquelle est reproduit un paysage de Bavière, recréant la faculté du cerveau à faire des associations d’idées entre passé et présent, entre un lieu et un autre, comme si la faculté d’ubiquité était réelle.

Simultanéité également pour Time and Motion Study de Steven Pippin. Il s’agit d’une installation vidéo montrant deux films tournés à dix ans d’intervalle: en 1989, l’artiste s’installe à côté du conducteur d’un métro de Londres et filme le trajet de la rame. Travail réitéré en 1999, sur le même trajet, donnant à voir les modifications inéluctables. Le passage du temps est ici au coeur de l’oeuvre réactualisée tous les dix ans, y compris, selon des prescriptions précises, après la mort de l’artiste.

Avec trois photographies de Calabre, sa région d’origine, Paola Salerno souligne la marginalité de ce territoire dont elle dénonce et réhabilite à la fois l’environnement ingrat. Car cette région, loin de bénéficier de la modernité, se désertifie de plus en plus. Mais il ne s’agit ni d’un travail autobiographique, ni d’un documentaire, ces photographies font partie d’un projet dont la construction d’une route de désenclavement en est la ligne directrice. Elle évoque ainsi sobrement les directions, géographiques ou de vie, finalement limitées.

Les vidéos de Harrell Fletcher, réalisées avec différents participants, témoignent de sa volonté d’enseigner et de transmettre, comme avec Blot out the sun (Joyce’s Ulysse). Pour celle-ci, l’artiste demande à des employés d’un garage de réciter des extraits du célèbre roman de Joyce, Ulysse. Filmés sur leur lieu de travail, les employés abordent donc les questions de la foi, de la recherche du père ou de la métempsychose dans un environnement prosaïque, s’appropriant avec une justesse confondante ce monument de la culture littéraire. Là où Joyce explore le concept de monologue intérieur, Harrell Fletcher en fait une sorte de conversation à bâtons rompus, pleine d’humour.

Lynne Cohen
photographie depuis plus de trente ans les espaces intérieurs, déserts. Il s’agit visiblement de lieux publics (on le devine à leur neutralité affectée). Si l’on cherche leurs raisons sociales, on devine qu’il s’agit de laboratoires, de salles d’entraînement, de halls d’attente, de soins… Recording Studio est un exemple de ces
endroits parfaitement propres et rangés où seule une décoration kitsch peut témoigner d’une présence humaine. Le but de Lynne Cohen est de nous faire réfléchir sur l’ambivalence de ces lieux dans lesquels nous évoluons.

Les photographies de Johannes Schwartz posent également la question de l’environnement quotidien. Dans la série Psychiatric Rooms, il ne dévoile pas les intérieurs dans leur entier mais insiste sur des détails. Ce qui intéresse Johannes Schwartz, ce n’est pas un style plutôt qu’un autre, mais l’agencement personnel d’objets et de couleurs de ces salles d’attente de psychiatres dont il finit par faire son propre langage visuel. Schwartz observe la réalité et les codes de l’organisation domestique avec autant de respect que d’humour.

Ursula Biemann s’intéresse à la question de la migration, des zones de libre-échange et des frontières. L’ensemble de son travail a pour but de clarifier la corrélation entre les sociétés à haute technologie et l’apparition de conditions de vie précaires. Sahara Panels est un ensemble de vues aériennes prises par la gendarmerie royale du Maroc sur lesquelles l’artiste inscrit des phrases donnant le point de vue inverse du gouvernement. Le style dépouillé des propos sur des images de type militaire disent avec force la violence faite aux parias de la mondialisation.

Ken Lum
joue également de la juxtaposition texte/image pour mieux dénoncer une certaine forme de violence due au décalage entre la vie rêvée, vantée par les médias et une réalité urbaine souvent d’une extrême difficulté. Dans Felicia Maguire moves again, la mise en place typographique souligne l’idée du déplacement en oblique du verbe to move (bouger). La phrase, d’apparence anodine, est contredite par l’image d’une enfant portant un lourd bagage, laissant sous-entendre une errance difficile.

Moins dramatiques, les sujets traités par Jean-Marc Bustamante évoquent souvent des images de l’enfance comme dans le livre Lumières. Les images diaphanes se situent dans un espace indécis qui rappelle les zones floues de la mémoire. Pour Jean-Marc Bustamante, la photographie n’est pas seulement image mais objet,
comme dans l’oeuvre Ouverture II où le tirage est posé sur une sorte de table basse en bois. L’horizontalité confère ainsi à l’image son autonomie. Cette présentation inhabituelle pose la question de la mise en espace et des limites de toute représentation.

Dans la même vitrine, côtoyant le livre Lumières, Misunderstandings de Mel Brochner est aussi un dispositif inscrit dans l’espace. Appartenant à un multiple collectif intitulé Artists and photographs, l’un des éléments de ce travail est à l’origine de Photography Cannot Record Abstract Ideas (La photographie ne peut enregistrer des idées abstraites), oeuvre présente dans la collection du Frac. Cette phrase manuscrite comme huit autres sont des citations empruntées à divers auteurs, à l’exception de trois d’entre elles, inventées par l’artiste sans que l’on puisse les repérer. La photographie affirme ici son incapacité paradoxale à traduire des idées tout en ayant pourtant une présence visuelle.

A travers les affiches saisies aux palissades ou aux murs de Paris, Jacques Villeglé est par excellence depuis 1955 le collecteur des voies placardées de la ville. Mais l’artiste ne se contente pas d’être ravisseur, il se fait aussi journaliste grâce aux graffitis politiques. Frappé par leur prolifération à l’occasion de la venue du président
Nixon à Paris, il entreprend de les recenser pour constituer un alphabet de graphismes socio-politiques, revu et corrigé à sa manière. Les Droits de l’Homme et du Citoyen est un parfait résumé de ce qui constitue l’oeuvre de Jacques Villeglé: les articles sont réécrits à l’aide de cet alphabet particulier dont d’autres signes apparaissent en filigrane, tandis que deux déchirures rouge et bleue ponctuent la déclaration.

La relation au temps et à l’espace, les notions de flux et de déplacement traversent l’ensemble de l’oeuvre de Richard Baquié. Batailles consiste en douze duo de petites surfaces de couleurs vives accompagnés chacun d’un texte dactylographié. Les formes ont des limites incertaines et se diluent l’une dans l’autre par l’usage de
l’aquarelle. Les taches obtenues se prêtent à différents registres d’interprétations plastiques ou psychologiques. L’artiste fait appel à un lexique en partie étranger au contexte: les descriptions, faites de termes guerriers, opposent aux champs colorés ceux d’opérations militaires et parviennent à produire un espace poétique ouvert.

Le travail de Joachim Koester repose sur une double vision, illuminant et dissimulant à la fois son objet, entre la réflexion sur l’art conceptuel et le documentaire pur. Berndt & Hilla Becher, est un diptyque de la série Histories dans laquelle il rend hommage à des grands noms de la création contemporaine. Pour ce faire il choisit une image mythique qu’il photographie directement dans un livre (laissant apparents des fragments de textes ou la tranche du livre) avant de se rendre sur le lieu et de le photographier. La déambulation s’effectue autant dans l’histoire de l’art que dans les pages d’un ouvrage et corrobore l’idée de confusion entre identité et environnement.

Les tableaux de Bernard Piffaretti se composent de deux moitiés dont l’une est la copie de l’autre, ce qu’il appelle «la duplication par méthode». Le principe de la duplication comporte quelques variantes qui constituent des tentatives de complexification des questions posées par l’artiste. Les Inachevés existent depuis le milieu des années 1990. Cela consiste à peindre un côté de la toile et à ne pas le dupliquer (le trait vertical, lui, est toujours là). Cette décision ne préexiste pas à la réalisation du tableau. Elle intervient au cours du travail, l’artiste se résout alors à en rester là, à laisser blanche la seconde surface. Paradoxalement ce tableau ne laisse pas
l’impression de saturation et de complexité; au contraire il apparait dans une sorte d’évidente simplicité.

Liste des artistes présentés: Richard Baquié, Ursula Biemann, Mel Bochner, Jean-Marc Bustamante, Lynne Cohen, Marcel Dinahet/Ron Haselden/Jean-Marc Huitorel, Harrell Fletcher, Joachim Koester, Ken Lum, Bernard Piffaretti, Steven Pippin, Barbara Probst, Paola Salerno, Johannes Schwartz, Jacques Villeglé.

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