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Lisa Milroy

PJuliette Delaporte
@12 Jan 2008

Douze panneaux juxtaposés forment une frise peinte de vingt mètres sur deux : sur cet imposant panoramique, Lisa Milroy déploie toutes les histoires de l’œuvre d’art. De l’esquisse à la nature morte, du clair à l’obscur, du désuet châssis à l’image projetée…

Black and White de Lisa Milroy est une frise géante dédiée à l’œuvre d’art et à sa foisonnante fabrique : douze panneaux, peints à l’huile et à l’acrylique, décrivent les lieux secrets de l’étude préparatoire, peut-être inspirés de l’atelier de l’artiste.

Pour découvrir ces lieux hantés par le travail de la création, le peintre joue avec le temps et l’espace, tantôt individuel ou historique pour l’un, propre aux objets représentés ou à la surface de la toile pour l’autre.

C’est d’abord le temps du visiteur, la durée nécessaire à la découverte progressive du polyptique qui s’étend sur tout un mur. Au gré de son pas, de droite à gauche, il savoure les innombrables détails de ces vingt mètres entoilés.
Au premier regard, on se perd, tant les objets abondent : des pinceaux, des châssis, des toiles, une chaise, son reflet dans un miroir, son esquisse sur une toile, puis une araignée sous globe, une nature morte aux fruits et au fromage, un vase chinois, un canapé, un cendrier, des projecteurs de diapositives et de pellicules cinématographiques. Enfin, un bazar d’objets au rebut…
Bref, le grand magma d’outils et d’esquisses d’un artiste surpris au beau milieu de sa recherche. Mais plus le regard se promène, plus il discerne un ordre au cœur de cet apparent chaos. Trois parties se distinguent clairement.

Black and White est comme un décor de cinéma figurant une maison sans mur et sans cloison pour ménager les déplacements de la caméra de la première à la troisième pièce : à droite de la frise, figure l’atelier du peintre, au centre un salon où s’exposent des natures mortes et se projettent des diapositives et des films, à gauche, un sombre débarras.

Le temps intime de la création se mêle au temps historique de l’évolution des supports artistiques : on passe de la traditionnelle peinture sur toile enchâssée à l’art de projeter des images fixes et animées. Et cette fameuse évolution contraste avec l’anecdotique de l’atelier : dans la salle de projection, un cendrier rempli atteste de la présence familière et vivante de l’artiste.

Ce jeu sur les temps côtoie une exploration de toutes sortes d’espaces : un amalgame se crée entre la surface de la toile et l’espace du référent, cette drôle de maison aplatie, notamment par le travail de la lumière et de la matière.
Ainsi, au fil du travelling latéral, de droite à gauche, des variations de lumière et de facture font passer d’une pièce à l’autre : de l’atelier du peintre clair et décoloré, en passant par le salon obscur qui fait office de salle de projection, jusqu’à l’espèce de grenier noir et dense où s’entasse un bric-à-brac de matériaux inutilisés, la frise s’obscurcit.

Lisa Milroy poursuit cette assimilation littérale de la forme et du sens de l’objet représenté à travers différents détails de l’art de peindre : l’atelier où figurent les pots de peinture, dégouline de coulures ; l’esquisse sur toile de la chaise est en noir et blanc ; le précieux vase antique, exposé sous vitrine, est peint avec méticulosité ; le bazar d’objets indiscernables se cache sous une matière dense et sombre.

La confusion entre la surface de la toile et l’espace de l’atelier représenté est portée à son comble au centre du polyptique, au niveau de la salle de projection : les images de maisons projetées sur le mur du fond de l’atelier sont tellement lumineuses qu’elles semblent figurer au premier plan. L’espace perspectif est étrangement dérangé.

Black and White ne cesse de reconduire le trouble du spectateur par la mise en abîme des espaces de représentation. Pas un cadre ou une image qui ne renvoie à d’autres tableaux, eux-mêmes ouverts sur des fenêtres circonscrivant d’autres œuvres d’art, les plus antiques et les plus technologiques, voire les plus inattendus : l’araignée sous globe apparemment sortie d’une bande dessinée témoigne du regard léger et humoristique que porte l’artiste sur sa propre pratique.

Lisa Milroy
— Black and White, 2004-2005. Huile et acrylique sur toile. 12 panneaux, 220 x 170 cm chaque
— High Pot-ential, 2006. Huile sur toile. 202 x 229 cm
— Misty Landscapes, 2006. Huile sur toile. 203 x 165 cm
— Red Vase 2005-2006. Huile sur toile. 108 x 81 cm
— Searching, 2005. Huile sur toile. 114.3 x 165 cm
— Emergency, 2005. Huile sur toile. 112 x 150 cm
— Vitrine 2004. Huile sur toile. 142 x 104 cm
— Food (without ceremony), 2006. Peinture et crayon sur papier. 58 x 83 cm
— Workshop (+ after hours), 2006. Peinture et crayon sur papier. 58 x 83 cm
— Garden, 2006. Peinture et crayon sur papier. 58 x 83 cm

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