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Libre circulation de capitaux symboliques (After Aléna)

24 Oct - 06 Déc 2014
Vernissage le 23 Oct 2014

En 1994, l’accord de libre-échange nord-américain (Aléna) transforme durablement le monde de l’art mexicain et donne naissance à une nouvelle génération d’artistes dont Milena Muzquiz et G.T. Pellizzi sont représentatifs. Plusieurs œuvres dites néo-mexicanistes témoignent également d'un courant qui a dominé la scène artistique mexicaine dans les années 1980.

Milena Muzquiz, G.T. Pellizzi, Javier de La Garza, Adolfo Riestra, German Venegas
Libre circulation de capitaux symboliques (After Aléna)

L’année 1994 est celle de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna), traité commercial qui instaure une zone de libre-échange entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. Les échanges de marchandises et de capitaux sont alors facilités, tout comme sur la circulation des capitaux symboliques.

A partir de 1994, c’est tout le Mexique qui s’ouvre à la culture américaine et occidentale, et pas uniquement celle des majors de Hollywood. L’accès aux images et aux livres d’art se généralise, la circulation des artistes s’intensifie et les expositions croisées s’accumulent à partir des années 1990, inaugurant une zone de libre-échange de capitaux symboliques en Amérique du Nord qui transformera durablement le monde de l’art mexicain et donnera naissance aux générations d’artistes, de galeristes et de curateurs que nous connaissons aujourd’hui.

Milena Muzquiz et G.T. Pellizzi sont à cet égard assez représentatifs de l’effet de cette libre circulation sur l’apparition continue de nouveaux artistes mexicains. Nés dans les années 1970, ils partent tous deux étudier aux Etats-Unis, l’une à Los Angeles, l’autre à New York, et font partie d’une scène émergeant dans les années 2000 bénéficiant de l’appétit du monde de l’art occidental pour les positions dites périphériques.

Circulant avec aisance entre différents médiums, Milena Muzquiz se fait connaître à partir de la scène de Los Angeles en tant que membre du duo de performeurs et musiciens Los Super Elegantes, qui écume tant la scène musicale indépendante que les lieux d’art les plus établis du monde de l’art contemporain, du Whitney Museum, à New York, en passant par la Galeria Vermelho, à São Paulo, ou le Museum of Contemporary Art (MoCA), à Los Angeles.

Après des études d’architecture, c’est aussi au sein du collectif The Bruce High Quality Foundation, repéré notamment lors de la Whitney Biennal de 2010, qu’il avait parodiée avec la Brucenial, en 2005, critique pleine d’humour des systèmes de validation du milieu artistique new-yorkais, que G.T. Pellizzi fait ses premières armes d’artiste. Par hasard, les deux artistes décident à peu près au même moment de quitter ces entités pour se concentrer sur leurs carrières personnelles.

L’exposition de la galerie Loevenbruck confronte les œuvres de ces deux artistes bercés par un multiculturalisme assumé, et faisant usage d’une lucidité habitée par les héritages culturels, qu’ils empruntent et reformulent chacun à leur manière.

Les œuvres de G.T. Pellizzi se positionnent en général doublement par rapport à l’anthropologie, d’une part, et à l’histoire de l’art moderne et contemporain occidental, d’autre part, dont il commente la position hégémonique par l’appropriation critique. Il réalise souvent ses œuvres en faisant appel à des techniques populaires mexicaines, révélant avec finesse les points de tension inhérents à la notion même de multiculturalisme.

Milena Muzquiz, quant à elle, travaille la céramique depuis quelques années, dans une approche partie du «Do It Yourself» mais tendant à se techniciser à mesure que ses tentatives de restituer en volume des sensations visuelles complexes s’affirment comme un enjeu principal du travail. A la croisée de l’art contemporain, de la pratique amateur et du design, les céramiques de Milena Muzquiz questionnent notre rapport à l’espace intime, à la subjectivité et à une certaine idée de l’exotisme ou de l’extra-culturel, à savoir ce qui est en dehors de sa propre culture.

Pour autant, la parfaite intégration par les artistes des formes globalisées d’expression post-modernes dans les années 1990 nous propose paradoxalement de réévaluer certains courants artistiques plus localisés et ayant eux aussi proposé d’autres représentations du monde correspondant à des époques plus spécifiques. Ainsi trouvera-t-on dans l’exposition plusieurs œuvres dites néo-mexicanistes, un courant qui a dominé la scène artistique mexicaine dans les années 1980 et l’a donnée à connaître aux Etats-Unis, avec un succès de marché incontestable bien que remis en question par la crise de 1994.

Ces œuvres plus figuratives, vues, avec le recul, comme le symptôme évident d’une prise de conscience de la globalisation naissante et de ses conséquences futures, renégocient les rapports individuels et collectifs au nationalisme dans un Mexique moderne et politiquement tenté par l’ouverture. Le néo-mexicanisme annonce ainsi la mutation latente de particularismes culturels nationaux vers un monde métissé et «post-world», aux frontières sinon physiques, du moins culturelles, perméables, dont Milena Muzquiz et G.T. Pellizzi pourraient être considérés comme les bénéficiaires précurseurs, chanceux et avertis.

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